~ Ambiance Musicale ~


Un mouvement, suivi d'un autre, puis encore un, et ainsi de suite, tous plus rapides les uns que les autres, et contrôlés du mieux qu'elle le pouvait, y plaçant également autant de force que le lui permettait sa petite constitution. S'entraînant seule depuis déjà plusieurs heures, Tilika ne s'en lassait pas. Ces exercices de taijutsu n'avaient rien d'amusant, et une gamine de son âge aurait très certainement préféré jouer avec d'autres enfants que de s'évertuer, chaque jour, à devenir encore et toujours plus forte. Mais voilà, des amis de son âge, elle n'en avait pas. Des amis tout court, non plus, d'ailleurs... Pas encore. Cela viendrait peut-être un jour, mais si Tilika laissait cette préoccupation en dernier dans la liste de ses soucis actuels, ce n'était que consciemment. Son cœur, guidant autant son conscient que son subconscient, nécessitait une chose que l'enfant omettait de lui apporter: de l'amour. Ce n'était certainement pas auprès de son tuteur qu'elle trouverait ce genre de sentiment, et comme elle ne fréquentait quasiment personne en dehors de lui depuis qu'elle vivait en sa compagnie, excepté ses amis laineux, Tilika demeurait sans doute la petite fille de six ans la plus seule et indépendante au monde...

*Tu devrais essayer de te faire des amis, tu sais. Il n'y a pas que Seridan, à Kumo...*

Sans répondre, dans un premier temps, Tilika continuait ses danses, ses tentatives de garder l'équilibre et un contrôle aussi parfait que possible d'elle-même, de son corps, dans les conditions qu'elle avait choisies pour cet entraînement. Encore en train de s'entraîner avec son équipe à lui, Seridan avait laissé son élève à la maison, espérant qu'elle étudierait cette théorie qu'elle connaissait pourtant déjà presque par cœur. Mais ça, Tilika ne le montrait pas. Faisant exprès de répondre faux aux interrogatoires du genin, elle espérait ainsi qu'il lui laisse ces mêmes bouquins et la laisse donc encore longtemps et souvent seule. Ainsi, la fillette avait tout le loisir de choisir elle-même ce qu'elle ferait de son temps libre, vu qu'en réalité, ces bouquins, ces leçons, elle les connaissait sur le bout des doigts. Pas question que Seridan décide de passer davantage de temps avec elle pour le moment, et encore moins qu'il ne l'envoie, comme il devrait le faire au vu de l'âge et des capacités de la petite prodige qu'il avait adoptée un an plus tôt, à l'académie.

L'académie... Un an plus tôt, et même peu de temps encore avant cet instant, Tilika aurait donné cher pour avoir le droit d'y aller, à l'académie, ignorant alors le potentiel qu'était le sien. Mais à présent, son orgueil additionné à ses connaissances et capacités actuelles lui dictaient de continuer à apprendre seule, avec Seridan, avec d'autres, mais pas à l'académie. A quoi bon, vu qu'à part le henge, elle maîtrisait déjà toutes les techniques, toute la théorie nécessaires au passage de l'examen genin? Sans compter ses capacités, presque égales voire peut-être même déjà supérieures à celles d'un genin diplômé! Ajoutez à cela le fait que la petite maîtrisait son kushiyose et pouvait ainsi invoquer un bélier de rang B aux cornes impressionnantes et aux pouvoirs psychiques inquiétants, et l'on comprenait aisément que Tilika ne pense plus avoir besoin de passer par l'académie ninja pour avancer et suivre son nindô.

*Tilika... La solitude, c'est pas bon tu sais. Et nous on est tes amis, oui, mais c'est pas pareil et tu le sais. Tu as besoin de contacts humains, avec des amis de ton espèce...*

Fronçant les sourcils, l'enfant fit la moue. Des amis? Pour quoi faire? Elle n'arrivait déjà pas à protéger le peu qu'elle en possédait, à savoir lui et Khanuk. Exécutant quatre mudras, elle tentait de reproduire encore et encore ces clones que lui avait appris à réaliser Seridan, puis, se remettait à son entraînement physique, au taijutsu, au feeling. Reproduisant comme elle le pouvait les mouvements indiqués, schématisés dans ses bouquins théoriques, Tilika tentait de gagner une meilleure maîtrise de son corps et des capacités qui étaient siennes à ce jour. La pluie dense qui les trempait tout Kumo depuis le début de la matinée cessait doucement de les inonder, laissant un soleil timide pointer le bout de son nez au travers des nuages épais et gris couvrant le ciel. L'entraînement serait moins difficile, le sol moins glissant sous peu. D'un côté, tant mieux. Après tout, même si elle aimait la pluie, cela faisait des heures qu'elle s'entraînait sous cette douche, et un peu de chaleur ne ferait pas de mal à ce petit corps qu'elle ne ménageait pas. Seridan lui-même devait régulièrement l'arrêter pour l'empêcher de dépasser ses limites, comme si la petite ne se rendait vraiment pas compte qu'elle allait trop loin et qu'elle risquait alors de briser ce corps sans lequel elle n'irait nulle part. La douleur, elle la ressentait, la fatigue, l'épuisement, tout cela aussi. Seulement, son orgueil et sa détermination étant plus forts, elle n'écoutait que ces derniers, et se mettait donc parfois dans un état pitoyable...

*J'ai pas besoin d'amis.*

*Dis pas ça...*

Attristé, l'agneau disparut, laissant sa jeune invocatrice seule dans ce décor presque surnaturel, dans lequel un soleil chaleureux baignait le sol de ses rayons, tandis que le ciel demeurait encore presque noir des nuages qui l'encombraient. Un sol, tout un décor lumineux à souhait, sur un fond noir et, au loin, encore zébré de quelques éclairs. Sans doute un arc-en-ciel devait-il naître quelque part entre pluie et soleil, mais Tilika ne s'en souciait guère. Trempée jusqu'aux os, la petite fille continuait ses mouvements, ses katas, avec une certaine souplesse, comme si elle dansait réellement. Aurait-elle été vêtue d'une tenue adéquate, qu'on eut dit une petite geisha dansant pour son maître au rythme d'une musique presque envoûtante. Spectacle étrange et merveilleux à la fois, empli de courage et de motivation, ses petits sourcils froncés rendant ce visage poupin presque trop adulte malgré ses traits encore clairement enfantins...

Et toute cette mise en scène, cette danse, ces jutsus incantés avec justesse, sans le moindre faux pas, avaient lieu sur le toit de ce bâtiment qu'elle refusait à présent de fréquenter: l'académie ninja. Démontrant ainsi au petit monde de Kumo, aux aspirants encore scolarisés comme à leurs parents et professeurs, qu'elle n'avait pas besoin d'eux pour progresser, qu'elle irait loin, encore et toujours plus loin que tous ces idiots tous fiers à l'idée de passer leur diplôme de genin dès leur sixième année d'académie. Elle était au-dessus de tout ça, au-dessus d'eux. Ce bandeau, elle l'aurait, et pas par envie de faire partie de ce village, mais par fierté de l'avoir obtenu avant tout le monde. Qu'ils l'ignorent, la rejettent à cause de son handicap, de ce petit quelque chose qui la rendait différente. Elle s'en fichait. Du moins, le pensait-elle. Car si son esprit lui dictait d'avancer sans se soucier des autres, son cœur, lui, pleurait toujours le décès de sa chère et tendre maman, seul être humain à lui avoir toujours apporté amour et réconfort lorsqu'elle en avait eu besoin...

*J'ai... besoin de personne... de personne!*

Aïe? Y avait-il un aspirant jouant à l'école buissonnière, un curieux ou...? Ce n'était pas l'heure de la récréation, il pleuvait des cordes jusqu'il y a un instant à peine encore, et en toute logique, Tilika devait se trouver seule en ce lieu. Alors d'où venait ce bruit? Certainement pas d'elle-même. De un, la fillette était muette de naissance, et de deux, elle ne s'était pas fait mal. Pas Kiny non plus, ce n'était pas sa voix, et il était parti, normalement. Alors qui? Un regard alentour, en bas, la renseigna bien vite sur la question... Un gamin, à peu près le double de son âge, à quatre pattes, et observant ses mains; il avait du trébucher dans l'une des flaques d'eau boueuse et fourbe, qui vous faisait déraper dans toutes les rues de Kumo dès qu'il y pleuvait un peu.

*Eh ben, il se relève pas? Il s'est vraiment fait mal?*

Pas méchante de base, Tilika n'était seule que parce que les circonstances l'avaient rendue terriblement solitaire. Et elle ne se montrait peste qu'envers quiconque la provoquait ou se montrait méchant, voire même juste dur. A force de devoir faire face à toutes sortes de difficultés, la gamine s'était endurcie le corps, mais aussi, malheureusement, l'esprit et le cœur... Presque automatiquement sur la défensive dès qu'elle rencontrait quelqu'un, Tilika n'hésitait pas à "montrer les dents" au moindre signe l'alertant d'un éventuel danger pour elle. Quant aux personnes non agressives à son égard, la plupart se comportaient différemment ou bizarrement, juste parce qu'elle ne pouvait parler, surtout quand il pleuvait, qu'elle était dehors, et qu'elle ne pouvait donc écrire, la pluie brouillant immédiatement encres et papiers...

Pour l'heure, la voilà sous un ciel qui s'éclaircissait à vue d'œil, presque aussi rapidement que n'était arrivée la pluie l'ayant douchée depuis ce matin. Midi sonnaient presque, son estomac criait famine, surtout après de si durs entraînements. Et ce gamin semblait rester prostré dans sa position de maladroit et pleurnichard... Nan mais sérieusement, c'était quoi son problème? Elle-même ne faisait pas tant de chichis pour un bleu au genou ou une écorchure sur la paume d'une main, même avant d'avoir entamé cette vie d'entraînements avec Seridan, et elle avait quoi, la moitié de l'âge de ce garçon! Quelle chochotte, se dit-elle, tout en descendant de son perchoir pour lui venir en aide, du moins si elle le pouvait.

Lui tendant une main secourable, son regard sombre interrogeant celui de Koma, Tilika se demandait s'il n'avait effectivement rien de grave. Culpabilisant un peu de l'avoir jugé si vite et sans raison, elle se montra, dans un premier temps du moins, aussi gentille et sociable que possible. Presque timide, même. Après tout, elle ne le connaissait ni d'Eve, ni d'Adam, ce gamin. Peut-être était-il en difficulté? Peut-être, comme elle à son arrivée à Kumo, était-il perdu, seul, sans repère, se sentant faible et désemparé?

*Faut que j'arrête de juger les gens et d'être agressive, qu'il dit, Khanuk. Il est marrant... Les autres ils me regardent bizarrement parce que je peux pas parler. Ou bien, comme Sarian Senseï ou cet idiot de chien mouillé tout noir, ils sont durs ou carrément pas gentils avec moi, alors moi, je vais quand même pas me laisser faire! Et puis...*

Et puis quoi? Et si elle rencontrait des gens sympathiques avec lesquels elle aurait envie d'être amie? Que se passerait-il? Tilika n'en savait fichtre rien, mais pour une raison qu'elle ignorait tout autant, elle avait peur de se lier à quelqu'un. Peur de perdre un autre être cher, sans doute... Un adulte désabusé ayant perdu famille, amis et autres proches opuvait tomber dans cet extrême de repousser tout lien avec quiconque de peur de le perdre ensuite et d'en subir à nouveau l'atroce douleur déchirant le cœur et l'âme... Mais qu'une enfant de son âge développe déjà ce genre d'état d'esprit n'était point réjouissant. C'était même carrément inquiétant, et Kiny comme Khanuk n'avaient que trop raison de la pousser à se lier d'amitié avec d'autres enfants, voire au moins des adultes, si elle se sentait mieux comprise par eux. Après tout, les enfants rejettent ou traitent vite mal ceux qui ne sont pas "dans la norme". Et bien que mignonne comme tout quand on savait comment la prendre, Tilika restait pour la plupart des autres enfants, une handicapée obligée de se balader partout avec un carnet et un stylo, et incapable de vous répondre sous la pluie... Alors, par peur d'être jugée, peur d'être rejetée, tout autant que par crainte de perdre encore un être cher, Tilika préférait rester seule. C'étais sans doute là l'une des raisons qui lui faisaient tant apprécier la pluie, d'ailleurs. Excepté quelques rares autres fous ou asociaux comme ce Kuro, l'autre jour, personne ne restait dehors quand le ciel se mettait à pleurer les larmes que la petite Tilika s'évertuait, elle, à refouler, encore et toujours plus profondément au creux de son âme...

Ainsi, il ne voulait pas de son aide. Mais pas par méchanceté ou orgueil mal placé, au vu de l'air qu'affichait le gamin. Plus grand qu'elle, il semblait néanmoins plus faible. Et à part une légère trace de sang qu'il avait négligemment effacée de sa main, il n'avait rien. Alors pourquoi cette attitude, cette position tout à l'heure quand il avait trébuché, cet arrêt à quatre pattes? Intriguée, Tilika se demandait quelles épreuves la vie imposait à ce garçon pour le mettre dans un état aussi "pitoyable". Ressemblait-elle à ça, quand elle avait perdu sa maman, elle? Oui, sans doute, en pire même, très probablement. Elle se souvenait avoir fait la dure, ou du moins, fait tout son possible pour paraître plus solide qu'elle ne l'était alors, et avoir fini en larmes, épuisée, presque anorexique suite à la douleur occasionnée par cette perte de sa maman, seul être sur terre à l'avoir aimée vraiment. Aimer... ça voulait dire quoi, encore? Ca servait à quoi, d'aimer ou d'être aimé, sinon d'avoir très, très mal quand on perd ce lien?

"Je suis désolé. Je t’ai dérangé je crois."

Dérangée? Ah, pas vraiment, elle avait choisi de descendre s'occuper de lui, rien ne l'y obligeait, si? Quant à être désolé pour ça... pour quoi, au juste? Lui avait-il fait quelque chose de mal? Pas qu'elle sache. A moins que ce n'était là qu'un piège tendu par une bande de gamins prêts à sauter sur "la fille pas comme les autres", maintenant qu'elle était descendue de son toit??? Généralement, les autres gosses de Kumo évitaient Tilika comme elle les évitait, tout simplement. Et s'ils s'en prenaient parfois à elle de façon peu dangereuse mais tout aussi peu agréable, ils ne le faisaient jamais seuls, la gamine ayant du répondant du haut de ses six petites années, déjà... Dans un doute lui traversant l'esprit, elle jeta donc un regard alentour à ces mots du gamin blanc comme un linge et trempé comme s'il sortait d'un lessivage complet, vérifiant que personne ne s'apprêtait à lui sauter dessus afin de jouer à la petite handicapée qu'elle était pour eux l'un ou l'autre de leurs tours pendables. A première vue, non, rien de ce genre en préparation alentour. Reportant alors son regard sur le garçonnet, Tilika se demanda qui il était, d'où il venait, s'il vivait à Kumo depuis longtemps, ne l'y ayant jamais vu auparavant...

"Tu t’entraînais n’est ce pas ? Pour devenir ninja...?"

Quelle question. Forcément, qu'elle s'entraînait pour devenir ninja! Quel gosse s'amuserait à faire pareils exercices, pareilles figures du haut d'un toit en prime, juste pour s'amuser, des heures durant? Mais loin de s'offusquer de la stupidité qu'elle pensait évidente de cette question, Tilika sourit au garçon, avant de fouiller ses poches à la recherche de quelque chose. Sortant un stylo et un petit carnet, elle l'ouvrit et se mit à y rédiger quelque chose. La pluie ayant cessé de tomber pour laisser place à un soleil de plus en plus radieux, elle pouvait enfin sortir son carnet de sa cachette hermétique à l'eau et qu'elle rangeait toujours dans une poche avant de sortir de chez elle. Tendant ensuite le papier à son jeune interlocuteur, elle n'avait plus qu'à espérer qu'il sache lire. Mais vu l'âge qu'il semblait avoir, sans doute avait-il appris cet art depuis quelques années déjà...

- Bonjour. Je m'appelle Tilika. Je suis muette, mais je peux t'entendre. Et oui, je m'entraîne pour devenir ninja. Je suis déjà très forte! Et toi? -

Et lui, comment s'appelait-il? D'où venait-il? Que faisait-il ici, et en général? Ce "Et toi?" englobait un peu toutes ces questions. A tout devoir écrire, Tilika résumait souvent ses pensées en moins de mots qu'elle n'en aurait utilisés en possédant le sens de la parole, forcément. Mais dans l'esprit de ses interlocuteurs, tout n'était pas aussi clair, et souvent, la fillette devait rédiger toutes ses interrogations en entier. Quand elle en avait l'envie, du moins. La plupart du temps, Tilika se contentait de ce que voulaient bien lui répondre les gens, et s'isolait ensuite à nouveau. Tout était tellement plus facile, avec Kiny et Khanuk! Mais le jour où elle pourrait communiquer par télépathie avec les autres, il était loin, très loin! Et c'était tant mieux, dans un sens. Tilika n'avait aucune envie que, comme le pouvaient ses deux amis cornus, n'importe qui puisse lire dans son esprit...

Oui, tous n'étaient pas pareils. Tous les enfants ne la considéraient peut-être pas, comme elle le pensait, simplement comme étant différente. En tous cas, si c'était le cas de ce garçonnet, il ne la fuyait ni ne l'agressait pas pour autant. Plutôt gentil, même, et doux, limite trop timide au goût de la fillette, il semblait juste quelque peu perdu face à elle. Après tout, si c'était la première fois qu'il rencontrait une personne muette, peut-être craignait-il juste de se montrer maladroit, de la blesser sans le vouloir, de la vexer ou qu'en savait-elle! Tous n'étaient pas méchants. Et si ce Koma l'était, jouant ici un rôle pour mieux l'atteindre ensuite... De un, il jouait vraiment bien le rôle en question, passant pour crédible à 100% au regard de sa petite interlocutrice. De deux, lorsqu'il changerait et s'en prendrait à elle, Tilika aurait de quoi lui répondre. Elle ne s'en faisait pas pour ce que de plus grands qu'elle pourraient ou non tenter de lui faire subir, se sachant bien entraînée et, si pas infaillible, assez forte pour survivre, surmonter, et revenir, plus forte et mieux entraînée, se venger ensuite.

Et si un jour elle devait perdre la vie dans sa folie vengeresse, tant pis: qu'avait-elle à perdre en ce monde, au final? Pas grand-chose... Ses deux amis cornus déploreraient son décès, mais sinon? Seridan ragerait d'avoir perdu son jouet... Grand bien lui fasse! Et à part lui, après cette première année de vie sous sa tutelle, à Kumo, Tilika ne fréquentait quasiment personne. Elle n'avait aucun ami autre que ses invocations. Pas étonnant, dès lors, que la gamine n'espère plus grand-chose et fonce tête baissée vers son objectif, qu'importe les conséquences pour elle... La mort, elle s'en moquait. Si elle mourrait, elle reverrait peut-être enfin sa chère maman, après tout. Dans un sens, peut-être même avait-elle envie de mourir, du coup. Mais non. Elle prenait la vie comme elle venait, les baffes comme son destin décidait de les lui filer, et répondait autant qu'elle le pouvait de ses petits poings et de son esprit aussi dur que les cornes de Khanuk, sans doute...

"Enchanté Tilika. Je m’appelle Koma. Je suis nouveau ici... Enfin ça fait une semaine que je suis arrivé."

Ainsi, cela ne faisait qu'une semaine que le gamin vivait à Kumo? Ou bien n'était-il ici que de passage? Et d'où venait-il? Soupirant doucement, Tilika déplora le peu de réponses obtenues à sa question qui, bien que simple et unique, englobait davantage d'interrogations que ne semblait y avoir décelé l'esprit du dénommé Koma. Une semaine. Nouveau. Nouveau? Donc il restait. Probablement. Du moins était-ce là la conclusion qu'en tira Tilika suite à l'utilisation de ce terme "nouveau". Koma... Drôle de nom, mais pas moche. Simple, facile à retenir, pas trop long à écrire. L'information enregistrée, Tilika s'apprêtait à lui poser les autres questions qu'englobait son "Et toi?", quand Koma lui en posa une à son tour.

"Et pourquoi tu veux devenir ninja?"

Pourquoi? N'était-ce pas évident? Hm, peut-être pas pour un étranger, après tout. Et puis, à la raison paraissant la plus évidente à l'esprit de Tilika s'additionnaient ses raisons propres, qu'il ne pouvait connaître. Fixant une seconde son regard sombre sur la voûte céleste virant au bleu clair, tandis que les quelques nuages restants blanchissaient, alors qu'il y avait un instant à peine, encore, ils assombrissaient le ciel de leur gris foncé presque inquiétant, Tilika soupira. Après tout, pour une fois qu'un autre gosse se montrait gentil avec elle et même, curieux, pourquoi ne pas se prêter au jeu? S'il jouait une quelconque comédie, elle lui ferait passer l'envie ensuite de profiter de ce qu'il aurait pu apprendre d'elle. S'il était sincère, alors, peut-être pourrait-elle faire plaisir à Kiny et Khanuk en s'en faisant ce qu'ils appelaient un ami. Reprenant son carnet en mains ainsi que son stylo, donc, Tilika rédigea sa réponse et de nouvelles questions à l'intention de Koma.

- Parce que c'est un village ninja, ici, et que tout le monde veut devenir ninja, presque. Et puis, je dois devenir très forte pour protéger les gens que j'aime. J'ai pas pu défendre maman quand les méchants l'ont tuée. Plus tard, si on me veut du mal, je me laisserai pas faire. Tu veux pas pouvoir te défendre, et défendre ceux que tu aimes, toi? Et tu viens d'où? Et tu vas rester à Kumo? Tu as quel âge? -

Tant de questions les unes à la suite des autres, mais vu qu'il n'avait pas compris le sens profond de sa première interrogation, Tilika se sentait obligée de développer. D'ordinaire, elle aurait laissé tomber et serait partie sans insister. Écrire, encore et encore, de véritables romans parfois, pour des gens incapables de réfléchir deux secondes au fait que si pour eux, s'exprimer était aisé, ce n'était pas spécialement le cas pour elle, la saoulait. Mais pour une raison qu'elle ignorait, et une fois n'étant pas coutume, pour ce gamin, Tilika se sentait l'envie de s'en donner la peine, et avait pris le temps de bien écrire chacun de ses mots. Restait, à présent, à attendre les réponses de son jeune interlocuteur...

Beaucoup de révélations et de questions en retour... Koma n'avouait pas toute la vérité de son histoire, en long et en large, mais ce n'était pas non plus ce que lui demandait Tilika. Après tout, l'on ne révèle pas si facilement et ouvertement ces choses qui vous ont blessés par le passé au premier quidam venu, et les deux enfants venant à peine de se rencontrer et d'entamer un dialogue, il était normal que l'un comme l'autre se contente du minimum dans leurs présentations respectives. Tilika non plus ne lui avait pas révélé toute son histoire, bien qu'elle ne s'en priverait peut-être pas s'il le lui demandait. D'une certaine manière, la fillette n'avait pas grand-chose à cacher, et elle ne faisait aucun tabou ou chichi particulier sur ce qui avait pu lui arriver depuis sa venue au monde, et dont elle avait encore le souvenir.

Les explications du gamin concernant son enfance passée n'étaient pas des plus claires, et Tilika n'en comprit effectivement pas grand-chose, sinon qu'il avait quitté son foyer lorsque son senseï et apparemment, seul tuteur encore en vie, était mort. Ce qui l'avait ensuite conduit ensuite jusqu'à Kumo semblait être une personne. De là, Koma avouait avoir onze ans et fuir quelque chose jusqu'ici, ayant décidé qu'il n'avait justement plus envie de fuir. Fuir qui, ou quoi? Quelqu'un lui voulait-il donc du mal? Il semblait presque fragile, et bien gentil, de prime abord. Qui pouvait donc vouloir du mal à un garçon comme lui, et pourquoi? Ces interrogations brûlant les mains de la petite fille - forcément, faute de voix, lorsqu'on exprime ses paroles par écrit, j'imagine que ce ne sont pas ses lèvres qui brûlent, mais l'outil lui servant à s'exprimer: ses mains - Tilika les rédigea aussitôt, tout en écoutant Koma terminer ses explications et poser, à son tour, ses questions.

Onze ans. Ainsi, il avait presque le double de son âge à elle. La plupart des garçons de cet âge préféraient fuir les filles, qu'ils trouvaient chiantes au possible, et les chamailleries allaient alors bon train entre filles et garçons. Koma paraissait différent, sur ce point encore. Loin de sembler la considérer comme pénible et de tenter de l'éviter ou de l'envoyer balader, le garçonnet répondait poliment, gentiment à sa jeune interlocutrice, prenant la peine de lire ses réponses avec attention, pour y répondre ensuite comme à une personne normale. Bien sûr, le handicap de Tilika l'interloquait quelque peu, comme pour tous, et c'était normal. Mais il ne la rejetait pas pour autant, ne se moquait pas d'elle, et ne s'impatientait pas du temps qu'elle pouvait mettre à lui répondre, elle qui ne pouvait user du sens de la parole, bien plus pratique pour communiquer. Même, il la questionnait sur le handicap en question, curieux, sincère, sans arrière pensée mauvaise comme c'était le cas de la plupart des gosses ayant interrogé Tilika sur son mutisme, à ce jour. Reprenant donc son stylo quand Koma eut terminé de parler, Tilika termina, de son côté, de rédiger sa réponse et ses propres questions.

- J'ai six ans. Et je ne sais pas si c'est dur d'être muette. Je le suis depuis toujours, donc je ne peux pas comparer. On dit que c'est plus long pour parler quand on est muet. C'est vrai. Mais il suffit de parler moins. De toutes façons, j'ai pas beaucoup de gens à qui parler. Et toi, tu fuis quelqu'un? Qui te veut du mal, et pourquoi? -

Peu de gens à qui parler, c'était bien le cas de le dire. Ses invocations, elle pouvait leur parler par télépathie, ce qui était bien plus pratique. Et c'étaient sans doute là ses seuls amis à ce jour, depuis la mort de sa mère. Seridan n'était pas spécialement un ami. Les enfants du village, elle les évitait autant que possible. Les adultes, de même. Au final, Tilika s'isolait beaucoup, tant par crainte de souffrir de la perte d'êtres auxquels elle s'attacherait que par crainte de sa différence, ou plus précisément, de la réaction d'autrui face à son handicap...

Quant à ses questions adressée au petit garçon, elles étaient sans doute déplacées ou en tous les cas, fort indiscrètes, d'autant plus que Tilika n'avait que trop bien remarqué la gêne qu'était celle de Koma lorsqu'il avait abordé vaguement le sujet. Mais elle voulait savoir. C'était plus fort qu'elle. Pour une fois qu'un autre gosse se montrait si gentil avec elle, la fillette se sentait d'ores et déjà protectrice envers ce tout nouvel ami, à l'air si fragile, lui. Si quelqu'un lui voulait du mal, elle voulait savoir qui, et pourquoi. Et cette personne n'aurait ensuite qu'à bien se tenir, car Tilika lui mettrait la pâtée de sa vie s'il ou elle osait s'en prendre ensuite à celui qu'elle venait d'ajouter à sa très limitée liste de personnes à protéger, en ce bas monde...

De la réponse de Koma, Tilika retint trois choses. Sa famille n'était pas appréciée là où elle vivait, alors il avait fui sur conseil de son tuteur. Ce premier point était en soi des plus obscurs; fuyait-il sa famille, ou bien cette dernière avait-elle fui avec lui? Etait-elle restée là-bas, rejetée par les autres? Pourquoi ne pas avoir fui tous ensemble? Pourquoi Koma avait-il un tuteur s'il avait une famille, tout simplement, d'ailleurs? Tilika n'avait plus de famille; il était donc normal que son tuteur ne soit pas un membre de cette dernière. Mais s'il lui restait un membre de sa famille, nul doute qu'elle préférait être placée sous la tutelle de ce dernier, et qu'elle aurait tout fait pour. Alors pourquoi ce gamin n'était-il pas demeuré avec les siens, quitte à fuir tous ensemble? Pourquoi un tuteur?

Second point, le garçonnet craignait de voir des personnes auxquelles il se serait attachées souffrir. Il ne voulait pas qu'on fasse du mal à d'autres à cause de lui. Mais pourquoi des gens seraient-ils en danger à le côtoyer? Quelqu'un allait-il s'en prendre à elle pour avoir ouvert son cœur à Koma? Pour une fois qu'elle ne fermait pas toutes les portes de ce dernier hermétiquement et se permettait la naissance d'un lien, si nouveau et ténu fut-il, avec quelqu'un, Tilika ne comptait pas se laisser faire facilement si un ennemi quelconque venait tenter de tout chambouler... Surtout s'il s'agissait de faire du mal à ce gosse, somme toute charmant, mignon, tout gentil, adorable et attentionné, bien que fort timide et chétif, physiquement comme psychologiquement parlant. Que quelqu'un touche à ceux que la petite aspirante appréciait, et ça saignerait, foi de Tilika!

Ainsi, il fuyait donc les contacts humains, lui aussi, mais par peur d'en perdre, d'avoir encore - ce qui signifiait sans doute qu'il avait déjà vécu ce genre de choses horribles - à perdre un être cher, et ce par sa faute, en prime, apparemment. Qu'il se rassure sur ce point, Tilika ne se laisserait pas faire si l'ennemi qu'il semblait craindre s'en prenait à elle pour le faire chanter, ou qu'en savait-elle! Il aurait du fil à retordre, elle s'en faisait d'ores et déjà la promesse!

Troisième et dernier point soulevé dans les réponses de Koma, l'idée de devenir ou non shinobi, à savoir si c'était nécessaire ou non pour protéger autrui et soi-même de l'ennemi. Dans l'esprit de Tilika, combative, la réponse était claire et nette: oui, il fallait être shinobi et progresser sans arrêt pour être le plus fort, pour pouvoir affronter les ennemis qui se pointeraient, quels qu'ils fussent. Face aux ninjas de ce monde, qui mieux qu'un autre ninja pourrai-il lutter pour défendre ce à quoi il tient? Maintenant, si Koma craignait de se battre, Tilika pourrait toujours lui apprendre les rudiments qu'elle-même avait déjà appris. Elle pouvait également l'encourager, le soutenir, l'aider autant qu'elle le pourrait. Quant aux capacités de Koma... Il semblait certes un peu maigrelet et fragile de prime abord, mais s'il en avait la volonté, rien ne l'empêcherait, comme tant d'autres avant lui, de suivre la voie des ninjas. Tilika ne comprenait pas ce qui pourrait l'en empêcher, du moins...

- Pourquoi t'es plus avec ta famille? Elle a pas fui avec toi? Pourquoi tu avais un tuteur si t'avais une famille? Et si tu veux protéger les gens et toi-même, il faut devenir ninja, oui. Je vois pas pourquoi tu ne pourrais pas, si moi j'y arrive, alors que je suis une fille et toute petite à côté de toi. Je t'aide, si tu veux. -

Elle lui sourit, amusée, tandis qu'elle lui faisait lire le mot sans l'avoir détaché de son carnet, cette fois. Son petit cahier tendu sous le regard vert émeraude de son jeune interlocuteur, Tilika le fixait avec un regard pétillant, vivant, empli d'émotions que son âme exprimait sans doute davantage par ce biais que par d'autres, la parole ne lui ayant pas été octroyée, à elle. Ses grands yeux, d'un violet sombre, exprimaient tellement de choses! Du courage, de la volonté, de la témérité même. Une force enfouie dans un tout petit corps, qui ne demandait qu'à grandir pour augmenter son potentiel, aller toujours plus loin, toujours plus haut, et devenir toujours plus puissant! Qu'importaient les embûches qui se dresseraient devant elle, Tilika ne se laisserait pas arrêter. Si d'aventure l'une d'elles la stoppait tout de même dans son périple, cela voudrait dire qu'elle ne serait plus, car à moins d'y perdre la vie, la petite fille avancerait toujours, quitte à ramper s'il le fallait. Et cette force qu'était sienne, elle proposait à Koma de la lui partager, s'il l'acceptait. Tel était le message qu'il pouvait déchiffrer dans ce regard profond et pétillant de volonté qu'était celui de sa petite interlocutrice muette...

Jamais connu sa famille? Etait-il trop jeune, lorsqu'il l'avait perdue, pour se souvenir de ses membres? Dans tous les cas, il levait une nouvelle interrogation dans l'esprit de Tilika... Il n'aurait gardé de cette famille que deux chose. Un nom, ce qui semblait logique, bien que Tilika elle-même ignore le nom de famille de sa maman et qu'elle n'en ait donc pas elle-même, à ce jour. Et... autre chose? Mais quoi? Sa famille aurait fait quelque chose qu'elle n'aurait pas du, ce qui lui aurait valu d'être éliminée. Soit. Mais cela avait-il un lien avec cette autre chose qu'elle aurait légué au jeune Koma? Pas stupide, et ayant elle-même pas mal étudié la question dans divers bouquins que lui faisait lire Seridan, en plus des leçons qu'il pouvait lui-même lui donner assez régulièrement sur le sujet, Tilika se douta, lentement mais sûrement, de ce dont il pouvait bien s'agir. Un don héréditaire? Le sien n'avait rien de terrifiant, mais elle savait que certains dons l'étaient. L'on parlait de quelques clans renommés dans les livres d'histoire... Il y avait, entre autres, ces deux clans de Konoha possédant un don qui altérait leurs pupilles, mais permettait aux uns de voir le chakkra, tandis que les autres pouvaient user de puissant genjutsus par le simple biais de leurs yeux, toujours. Et ce petit garçon tout fragile et gentil, avec quel don étrange était-il donc venu au monde pour craindre à ce point de s'en servir ou même simplement d'en parler? Notant mentalement cette interrogation nouvelle dans son esprit, Tilika écouta la suite.

"Ce n’est pas vraiment mes capacités que je met en doute, mais plutôt mon envie de le devenir. Je ne veux pas blesser et encore moins...Tuer une autre personne. C’est plutôt problématique comme façon de penser pour devenir un shinobi."

Encore une fois, la réponse à ces interrogations du gamin paraissait si simple et claire à l'esprit de sa petite interlocutrice! Pas qu'elle veuille spécialement tuer qui que ce fut, non plus, mais Tilika ne craignait pas de devoir se battre, encore moins de faire mal à quelqu'un qui l'aurait, selon elle, mérité. Elle n'allait pas non plus blesser inutilement un adversaire, ou n'importe qui d'ailleurs. Mais s'il fallait se défendre, elle le ferait. S'il fallait tuer pour survivre... Elle n'y pensait pas vraiment. En fait, tout se déclenchait naturellement et le moment venu, chez elle, plutôt instinctive de nature, et aussi, il fallait bien l'avouer, très impulsive. Prétendre qu'elle serait capable de tuer serait un mensonge, car du haut de ses six ans, et si dure puisse-t-elle déjà se révéler malgré cet âge si précoce, Tilika n'avait encore jamais eu à combattre réellement quelqu'un, et encore moins au point de devoir tuer. Cela viendrait sans doute en son temps, mais pour l'heure, elle n'avait tout simplement pas ce tracas-là en tête.

Ne pas blesser, ne pas tuer, ne pas faire de mal, mais protéger... Cela semblait effectivement plus problématique, mais pas au regard de Tilika. Bien que la petite fille ne comprenait pas tout à fait pourquoi Koma refusait de rendre un coup s'il était bien mérité, elle ne l'embêterait pas en le forçant à s'y mettre. Chacun son nindô, après tout. Et elle savait qu'il existait d'autres voies, même pour un shinobi, que la violence. Préparant donc mentalement sa réponse au garçonnet, Tilika écouta encore une fois, la suite. Suite qui se révéla plutôt surprenante pour elle, d'ailleurs...

" Tu es sûrement beaucoup plus grande que moi finalement..."

Rédigeant ses pensées, réponses et autres éventuelles questions, Tilika ne mit pas longtemps à tendre son petit carnet en direction de Koma. Vraiment, un jour, il faudrait qu'elle se trouve un petit tableau sur lequel elle puisse effacer et réécrire à volonté. Ce serait moins embêtant, et puis, elle avait déjà vu ce genre de petits tableaux dans la vitrine d'un magasin de matériel scolaire. Pourquoi pas? Certains feutres, conçus spécialement pour écrire sur ces surfaces blanches plastifiées, résisteraient peut-être à l'eau... Ce qui lui permettrait en prime d'écrire et donc, de parler même sous la pluie! Oh, bien sûr, il restait également ce langage des signes, qu'elle oubliait petit à petit, le temps passant sans plus personne pour le lui enseigner et surtout, le lui faire pratiquer, comme le faisait sa défunte mère... Mais qui voudrait apprendre un langage si compliqué, juste pour elle, alors qu'elle savait écrire? Probablement personne...

- Si tu veux pas parler de ton don, c'est pas grave. Mais je suis curieuse. Moi aussi j'en ai tu sais? J'en ai même deux, mais faut pas le dire à tout le monde, je te fais confiance, d'accord? Et si tu veux pouvoir protéger les autres sans te battre, pourquoi tu essayes pas de devenir medical nin? Et puis y a des techniques défensives qui ne blessent pas les autres, aussi, qui existent. -

La dernière réplique de Koma, Tilika n'y avait finalement pas répondu. Perplexe, elle cherchait à en comprendre le sens exact. Baissait-il les bras en s'avouant juste moins fort qu'elle? Qu'à cela ne tienne, la gamine lui apprendrait à se débrouiller! Et s'il restait faible et refusait tant de se battre que d'apprendre d'autres techniques ninja, elle le défendrait. Après tout, Tilika n'avait pas peur de se battre, elle. Et pour une fois que la fillette se sentait bien avec quelqu'un d'autre que ses invocations, elle ne laisserait personne faire du mal à ce tout nouvel ami!

"Tu as sans doute raison... Je dois... sûrement y réfléchir... Ici c’est différent de là bas, on ne m’oblige pas à faire ce que je ne veux pas, alors je pourrais peut être réessayer..."

Tilika hocha la tête en signe d'affirmation lorsque Koma prononça ces mots. Un sourire encourageant aux lèvres, la petite fille prit même les mains du gamin dans les siennes, plongeant son regard quelques secondes dans le sien, afin de lui faire passer le message qu'elle désirait, pour autant qu'il le comprenne. Elle serait avec lui, et le soutiendrait. Il pouvait y arriver. Il fallait qu'il trouve sa voie, qu'il avance, qu'il se remette en marche au lieu de fuir. Et même s'il ne voulait pas se battre, la voie des shinobis permettait bien d'autres options. Sans compter que s'il rechignait à cogner, elle en revanche ne se le ferait pas dire deux fois s'il lui fallait se défendre ou défendre autrui.

*Je serai avec toi, et si t'as peur, moi je serai ta force... si tu veux.*

S'il le voulait, car Tilika ne s'imposerait pas. Elle n'était pas du genre à forcer autrui à l'accepter, que du contraire. Même, en un an de temps qu'elle vivait à Kumo, la petite fille s'était isolée davantage chaque jour passant, à chaque nouveau regard de travers d'autrui, à chaque remarque, à chaque taquinerie de ces enfants cruels utilisant les êtres différents comme souffre douleur. S'ils ne voulaient pas d'elle, soit. Elle ne voudrait pas d'eux non plus. Elle n'avait besoin de personne. Du moins le pensait-elle. Mais ce sentiment ne l'empêchait pas, à l'instant, de ressentir autre chose, un petit truc bizarre au fond d'elle-même, mêlé d'une irrésistible envie de se rapprocher de ce garçon, de le protéger, de "l'ajouter à sa collection de proches", collection bien peu fournie à ce jour...

Un ami. Son tout premier ami, du moins à deux pattes, car bien entendu, Kiny et Khanuk l'étaient depuis longtemps, ses amis fidèles et loyaux, sur lesquels elle savait pouvoir compter autant qu'elle espérait pouvoir se montrer digne, elle, de leur confiance et de leur amitié pour elle. Koma, c'était différent. Elle venait de le rencontrer, ne connaissait que peu de choses sur lui, bien que lui comme elle semblait bien enclin à se confier, alors que d'ordinaire, les deux enfants gardaient pour eux tout ce qu'ils étaient en train de se révéler l'un à l'autre. Sans doute ce petit quelque chose les rendant différents et de là, fort seuls, était-il la clé leur permettant autant de confiance entre eux. Ce que Tilika révélait à Koma, elle ne le ferait pas avec n'importe qu d'autre. De même, le jeune garçon n'aimait-il pas parler de ces choses dont il parlait avec elle, préférant les enfouir au fond d'un tiroir de son esprit, lui-même fermé à double tour ensuite. Et pourtant, à elle, il révélait tout cela, avait rouvert ce tiroir.

N'oubliant cependant pas de répondre aux nouvelles questions de son interlocuteur, Tilika relâcha son étreinte sur ses mains, lui souriant toujours. Puis, plus sérieuse et méfiante, elle jeta un regard alentour, et sans un mot - forcément, me direz-vous... - l'entraîna plus loin, dans une ruelle, puis une autre, jusqu'à arriver dans un endroit d'où personne ne pourrait les observer ni les entendre à moins de se montrer et donc, de se faire repérer. Une espèce de cul de sac, donnant sur une ruelle d'un côté, mais peu fréquentée, et sur un tas de vieilles caisses et de tonneaux de l'autre, sur lesquels les deux enfants pourraient se faufiler s'ils voulaient fuir, mais qui ne supporteraient sans doute pas le poids d'un adulte, en revanche. Si l'un de ces énergumènes venait donc à les enquiquiner ici et à vouloir les poursuivre, il aurait une mauvaise surprise en voulant passer ce monticule-là...

S'installant plus confortablement, assise dos à une caisse, après avoir vérifié que l'endroit était désert, Tilika enjoint d'un geste de la main à Koma de faire de même, se voulant rassurante. Ne pouvant parler et marcher en même temps, du moins pas spécialement aisément, elle n'avait pu lui expliquer le pourquoi de ce déplacement soudain, et ne voulait pas qu'il s'inquiète. Certes, Tilika aurait pu expliquer sa démarche avant de l'accomplir, mais bon, l'habitude faisant, la gamine s'était encore laissée emportée par son impulsivité davantage que par sa raison ou une quelconque sagesse. Reprenant son calepin, elle y rédigea enfin quelque chose, à nouveau, à l'intention de Koma.

- Oui, deux dons, mais y en a un qui est plutôt pas très chouette, et qui m'empêche de dormir, souvent. Je voyage dans les rêves des autres. Mais je choisis pas qui ni quand, ni rien. Alors quand c'est un chouette rêve, ça va, avec des gentils Rêveurs. Mais souvent, ce sont plutôt des cauchemars, et avec des gens pas toujours gentils. Et l'autre don, c'est ça, je vais te montrer! Je vais te présenter Kiny et Khanuk, mes amis! Ce sont des invocations! -

Lui tendant le carnet entier comme la dernier fois, lorsqu'elle eut terminé, Tilika ferma les yeux une fraction de seconde, se concentrant. Et là, deux nouveaux personnages firent leur apparition dans la ruelle... Une mini boule de laine blanche, toute soyeuse, avec d'énormes yeux couleur ciel, et à l'air si mignon qu'on avait tout de suite envie de le prendre dans ses bras pour le câliner autant que pour profiter de la douceur de sa toison. L'autre, plus imposant, portait un pelage noir, sombre, contrastant avec une laine aussi blanche que celle de son collègue miniature. Il arborait une paire de cornes impressionnantes, quelques bijoux lui donnant un air presque royal - tandis que le plus petit ne portait qu'un grelot à une oreille - et son regard autant que son attitude et sa prestance générale, imposaient le respect. Pourtant, il ne semblait pas agressif, mais calme, respirant la sagesse malgré la force qui devait être sienne, du haut de son, très probablement, bon mètre au garrot...

Portant leur regard, chacun, sur Tilika puis sur Koma, simultanément, les deux moutons se sourirent l'un à l'autre d'un air complice, avant de sourire aux enfants eux-mêmes. Ainsi, leur petite protégée venait de sympathiser avec un autre enfant, et ce suffisamment pour qu'elle décide de lui montrer ses invocations. C'était typiquement enfantin comme geste, et naturel. Et c'était bien là ce qui rassurait et réjouissait ses deux amis de laine: Tilika s'ouvrait enfin à quelqu'un!

"Besoin de nous, Tili-chan?", demanda le plus gros des deux moutons, l'air de rien, "innocemment".

Sans répondre autrement à Khanuk que d'un large sourire, la petite fille tourna son attention sur son nouvel ami, à deux pattes, lui. Ravie de l'enthousiasme de Koma, Tilika lui reprit la main pour l'encourager à approcher de ses deux amis. Oui, c'était agréable, de toujours se savoir accompagnée, où qu'elle aille, par ces deux personnalités attachantes et rassurantes qu'étaient Khanuk et Kiny, sa petite boule de laine lui ayant si souvent tenu chaud au cœur, ou même, chaud tout court. Sans eux, sans doute la fillette se serait-elle laissée tomber, aurait-elle abandonner son combat contre la vie. Seridan ne l'aurait alors pas trouvée plus intéressante que n'importe quel autre mioche orphelin et en prime, handicapé. Tilika n'aurait été qu'une petite fille éplorée, ayant perdu lors du décès de sa mère tout ce qui lui restait au monde. Elle n'aurait plus rien eu à perdre et serait restée faible, fragile, petite, et surtout, ce qui l'aurait différenciée fortement de celle qu'elle était devenue aujourd'hui, non combative.

"Et si tu faisais les présentations, d'abord, avant de passer aux câlins, hein? Na mais oh!"

Amusé, Kiny fit mine d'éviter la main de Koma, que Tilika avait approchée de la toison si douce de l'agneau. Sautillant de ci, de là, Kiny bêlait et faisait le clown, mimant un bébé mouton apeuré devant un étranger. Après tout, il est connu que les moutons sont assez craintifs, comme animaux. Ayant une confiance presque aveugle en leur berger, ils fuient facilement devant tout inconnu qui s'approcherait de trop près à leur goût. Bien sûr, Kiny et Khanuk n'étaient pas de ceux-là, mais l'agneau avait envie de jouer, d'humeur farceuse, et aussi, joyeuse. Il était content que Tilika se soit enfin ouverte à quelqu'un, un autre enfant en l'occurrence, ce qui était, en quelque sorte, encore mieux. Ainsi, elle comprendrait que tous les gosses ne se montreraient pas toujours cruels ou désagréables avec elle, fut-elle handicapée. Certains méritaient sa confiance et l'amitié que l'agneau la savait prête à offrir à quiconque s'ouvrirait à elle.

Pas que l'amitié de Tilika vaille davantage que celle d'une autre personne. Loin de là. Mais Kiny la connaissait bien, et savait qu'avec elle, il n'y avait pas de demie mesure. Soit elle se fermait hermétiquement à autrui, prête à cogner s'il lui fallait se défendre, soit elle ouvrait son cœur, et dans ce cas, de la même façon que dans le premier, rien ne l'arrêterait. S'il savait la petite fille capable de dépasser presque trop facilement ses limites en cas de démonstration de colère, il savait également qu'elle n'offrirait pas son cœur à moitié. Si ce jeune garçon s'en montrait digne, Tilika serait prête, sans une seconde d'hésitation et sans qu'il ne leur faille plusieurs années d'amitié pour "faire ses preuves", à tout donner, tout risquer pour lui. Elle était ainsi.

Sautillant gaiement tout autour des deux enfants, Kiny finit par se faufiler sous un bras de Tilika, lui faisant une petite lèche sur le bout du nez, avant de la quitter pour aller se cacher derrière Koma, taquin. Riant aux éclats, mais d'éclats silencieux, la petite fille se frottait le nez sans chercher davantage à capturer le mouton farceur, tandis que ce dernier commençait à câliner Koma comme s'il avait toujours fait partie de "la famille". S'appuyant contre le gamin, sous un bras de ce dernier, il poussait tout doucement sa tête sous la main du petit bout d'homme, comme pour l'inciter à le caresser, à le prendre dans ses bras lui aussi, lui en octroyant le droit.

"Moi, c'est Kiny. Enchanté, Koma-chan!"

Amusé, mais calme et bien plus sage, Khanuk était resté statique, pour sa part. il observait tranquillement la scène, un sourire amusé affiché sur ses traits également. Kiny restait un gosse, malgré ses nombreuses décennies d'existence. Sans doute était-ce d'ailleurs pour cela qu'il s'entendait si bien avec la jeune Tilika, et qu'ils se comprenaient presque toujours, aussi. Un peu fatiguée suite à ses heures d'entraînement, Tilika s'était rapprochée de Khanuk, laissant Kiny à Koma, et s'assit tout contre la toison épaisse du bélier, ce dernier s'étant couché pour qu'elle puisse s'installer ainsi.

"Et moi, Khanuk. Enchanté également, jeune Koma."

Les questions qu'elle se posait sur le don de Koma demeuraient, mais comme si elle avait compris qu'il ne voulait pas en parler, Tilika n'avait pas insisté. Pas cette fois du moins. Sa curiosité demeurait trop forte pour qu'elle n'insiste pas finalement, à un moment ou à un autre. Mais pour l'heure, elle le laisserait tranquille. Il pouvait jouer avec Kiny, se détendre, oublier un peu ses soucis, lui qui semblait en avoir tellement. A ne pas pouvoir communiquer oralement, l'on apprend aussi à mieux observer, à écouter davantage, et l'on analyse souvent mieux les gens et les situations que d'autres. Peu encline à réfléchir longtemps, de par sa nature impulsive, Tilika savait néanmoins faire preuve de sagesse, parfois, et c'était le cas en cet instant. Les réponses qu'elle espérait viendraient bien à elle le moment venu.

Fatiguée, et plutôt calme, Tilika restait assise tout contre Khanuk, son dos appuyé contre l'épaisse toison de l'animal. C'était presque étrange de la voir ainsi, d'ordinaire. Koma ne la connaissait pas depuis assez longtemps pour le savoir, mais ici, à Kumo, la petite fille avait beaucoup changé, par rapport à lorsqu'elle vivait encore avec sa maman. Tête brûlée, endurcie, elle ne cherchait pas la bagarre mais cognait volontiers, sans hésiter, le premier qui la lui cherchait. Passant la majeure partie de son temps à s'entraîner, elle passait l'autre à s'isoler. Et d'ordinaire, les habitants du village la rencontraient en pleine action, en forme, pleine d'énergie, de hargne ou d'entrain lorsqu'en de rares occasions elle se montrait plus joviale. Pour une sieste ou un moment de repos, méditation ou tranquillité quelconque, la gamine préférait se cacher aux yeux du monde, s'isoler dans un coin tel que celui-ci. Avoir enmené Koma dans l'une de ces "cachettes" démontrait la confiance qu'elle lui offrait déjà.

"C’est vraiment impressionnant. Alors l’invocation aussi est un don?"

"Pas vraiment. Disons que d'ordinaire, le kushiyose s'apprend auprès d'un senseï l'ayant lui-même appris auprès d'un senseï, et ainsi de suite. C'est un peu comme une tradition transmise de génération en génération. Rien ne t'empêcherait de te lier d'un pacte avec l'une ou l'autre créature magique, comme l'est Tilika avec nous. La différence la concernant consiste en l'absence de pacte et de signes lorsqu'elle désire nous invoquer. Elle a signé un pacte mais une fois celui-ci signé, elle n'a plus besoin de l'avoir sur elle et de pratiquer de mudras pour nous appeler."

Explication plus ou moins claire, mais bien compliquée sans doute pour un gamin qui n'avait jamais voulu apprendre grand-chose sur l'art des shinobis, à ce qu'en avait compris Khanuk. Il avait usé de termes aussi simples que possibles, mais se doutait que Koma ne comprendrait peut-être pas certains mots, comme "mudra". Si l'enfant avait davantage de questions à poser, de toutes façons, il pouvait sans crainte les exprimer à voix haute. Khanuk lui répondrait alors, ou bien Kiny, qui avait cessé de sautiller de partout, pour câliner et se faire câliner, installé sur les genoux de Koma, sans gêne aucune, à première vue.

"Tu as de la chance je trouve, Tilika. D’avoir de tels amis avec toi."

Un sourire, mais qui sonnait bien faux... Tilika ne fut pas dupe. Le petit garçon, non loin d'elle, semblait décidément souffrir de blessures plus profondes que les siennes, et qui l'affectaient assez visiblement, du moins pour elle qui savait mieux que d'autres décoder le langage du corps et du visage. Elle s'en sortait plus ou moins bien, mais c'était une battante. Lui non. Et il était seul. Réfléchissant un moment - une fois n'étant pas coutume - Tilika prit une décision et, se relevant, s'approcha de Koma, pour se venir s'accroupir en face de lui. Ressortant son carnet, elle se mit à rédiger dedans, avant de le lui tendre pour qu'il puisse lire.

- Je peux pas t'obliger si tu ne veux pas. Mais si t'as envie, je peux t'apprendre à faire des trucs de ninja, et aussi, avec Kiny et Khanuk. Si tu veux t'entraîner avec moi, je t'apprendrai à les invoquer, et tu seras plus seul. -

D'abord prêt à intervenir dès qu'il eut compris ce que voulait faire Tilika, Khanuk se ravisa. Kiny, qui n'y prêtait pas attention, n'avait pas réagi non plus. Apprendre à cet enfant à les invoquer... En temps normal, un shinobi peut effectivement partager un pacte avec d'autres, mais dans une certaine mesure. Si les créatures refusent de se lier avec cet autre shinobi, les forcer ne mènerait sans doute à rien de bon. L'élève pourrait effectivement faire apparaître les créatures alliées à son maître dans son monde, mais ces dernières pourraient tout aussi bien, une fois sur place, fuir à nouveau dans leur univers et refuser de l'aider. En somme, avant de proposer pareille offre au jeune Koma, Tilika aurait du en parler avec ses amis avant. Mais pour cette fois, Khanuk ne dit rien. Il expliquerait les tenants et aboutissants de l'affaire à la petite fille, plus tard, en privé. Pour l'heure, un contrat avec ce gamin ne le gênait pas plus que cela. Il semblait gentil, sincère, et même, pacifiste, ce qui calmerait peut-être un peu la hargne de plus en plus évidente de Tilika envers son monde, s'ils se liaient davantage l'un à l'autre, tous les deux. De plus, c'était le tout premier ami de l'enfant, et bien qu'elle accordât sans doute sa confiance trop rapidement, elle l'avait accordée. En tant qu'amis ayant eux-mêmes confiance en elle, Khanuk et Kiny se devaient de partager celle qu'offrait à l'instant Tilika au jeune garçon. Après tout, elle-même n'avait accepté de signer ce pacte la liant à Khanuk que très récemment, refusant l'idée qu'il puisse risquer sa vie pour elle. La petite désirait les protéger, et ne souhaitait pas que l'inverse ne se produise. Si elle avait pris le risque de signer, dès lors, et qu'à présent elle proposait à Koma d'apposer son propre "parafe" sur le sceau d'invocation, ce n'était certainement pas sans savoir qu'alors, Khanuk et Kiny risqueraient peut-être aussi leurs vies pour lui, et plus uniquement pour elle...

C'était une offre inespérée et de grande valeur, que faisait là Tilika à Koma, et cependant, il l'avait refusée. Poliment, gentiment, mais refusée. La petite fille sentait pourtant bien ce désir du gamin à avoir quelqu'un, lui aussi, toujours à ses côtés. Sauf que quelque chose l'empêchait de s'en octroyer le droit. Restait à découvrir quoi! Pas spécialement du genre à baisser les bras, la fillette ne lâcherait pas si aisément l'affaire. Se relevant à la suite du garçon, elle lui tendit un nouveau mot, écrit juste avant de s'être remise debout elle aussi.

- C'est pas grave, on sera quand même là pour toi, moi, Kiny et Khanuk. -

Fixant son regard sombre dans celui couleur forêt de Koma, Tilika insista quelque secondes, comme pour être sûr qu'il ait bien noté cette information. Puis, reprenant son carnet, elle écrivit une suite à cette première annonce.

- Ca empêche pas que je t'apprenne, si un jour tu veux. Je peux t'aider à t'entraîner, au kushiyose et aussi au ninjutsu. Si un jour tu veux, tu n'auras qu'à me le dire. -

Ainsi, les choses étaient claires. En revanche, Koma lui annonça enfin la nature de son propre don, à lui, qui semblait décidément le mettre sacrément mal à l'aise.

"Mon... héritage est différent des tiens. Mon nom de famille est Kaguya... leur pouvoir et le mien est de... d’utiliser une arme formée par... notre corps. J’ai aussi une faculté de régénération au dessus de la moyenne... Enfin quand je suis blessé, mes plaies se referment plus rapidement que la normale. Les deux sont liés, mais je n’en contrôle aucune."

Ces explications plutôt floues n'éclairaient pas entièrement l'esprit de Tilika sur la question, mais lui permettait d'imaginer au moins ce dont il pouvait s'agir. Que Koma émette davantage de craintes et de répulsion à l'idée de se confier sur ce fameux don qu'il possédait ne dérangeait pas outre mesure la fillette. Elle pouvait comprendre que parfois, l'on n'avait pas envie de parler, d'autant plus de choses qui nous touchent, nous blessent, et ce à de parfaits inconnus. Qu'elle se sente assez en confiance face à lui pour tout lui dire sur ses dons à elle ne signifiait pas que ce serait nécessairement réciproque. Pas si rapidement du moins. Tilika avait conscience de son impétuosité, et savait que tous n'étaient pas comme elle enclins à foncer droit devant lorsqu'ils prenaient une décision, généralement peu réfléchie pour sa part d'ailleurs.

Ainsi, Koma pouvait guérir plus vite s'il se blessait? Ca, Tilika l'avait compris, et cette faculté lui paraissait des plus intéressantes, d'autant plus en combat, justement! Mais lui ne voulait pas combattre. Forcément, du coup, ça ne lui servait à rien, dans l'état actuel des choses, sinon à guérir plus vite d'un bobo ou d'un rhume, sans doute... Quant à cette arme formée par son propre corps, qu'est-ce que cela pouvait bien être? Malgré quelques lectures de bouquins sur les dons héréditaires, la fillette n'avait jamais lu ou entendu ce fameux nom de Kaguya, ni entendu parler de techniques du genre de celle décrite trop vaguement par son jeune interlocuteur. Avait-il un katana dans son corps, qu'il pouvait faire sortir comme bon lui semblait? Ou des kunaïs, des shurikens qu'il pouvait cracher par la bouche sur l'ennemi, peut-être? L'imagination infantile et débordante de la gamine lui fit faire une drôle de mimique, tandis qu'elle tentait d'imaginer en quoi un corps humain, d'autant plus celui d'un tout frêle garçon comme lui, pouvait-il représenter une arme autrement qu'en en tenant une en mains ou en se servant de ses poings... Dur!

"Je le déteste ce... don."

Nouvelle surprise. Mais qui ne dura pas bien longtemps. L'on ne choisit pas le don avec lequel on naît ou pas, de un. Secondement, Tilika avait bien compris que Koma n'aimait pas la violence, la redoutait, et refusait de se battre, lui-même. Si le don du gamin consistait donc à former une arme quelconque de son propre corps, forcément, il ne devait pas en être ravi. Mais de là à le détester... Apprendre à s'en servir, à le maîtriser, ne signifiait pas nécessairement faire du mal à autrui. Au contraire: s'il apprenait à maîtriser ce talent, il pourrait éviter de blesser autrui, et qui savait, peut-être même en faire une défense plutôt qu'une attaque! Pensant à tout cela, elle, Tilika se remit à rédiger avec acharnement, après quelques secondes passées à réfléchir à tout ce qu'elle venait d'entendre.

- Si tu apprends à t'en servir, tu pourras le maîtriser et justement, pas faire du mal sans faire exprès. Si tu veux pas apprendre, tu pourrais faire une bêtise sans le vouloir, je crois. Mais c'est toi qui dois vouloir apprendre. Personne peut te forcer. Et puis, on choisit pas comment on est, on doit faire avec. Moi je peux pas parler, et je dors pas beaucoup à cause des cauchemars des autres. Mais je dois apprendre à faire avec. Tu dois aussi apprendre. Surtout si c'est vraiment une arme que t'as dans ton corps! -

Claire, directe, sans détour. Ce serait peut-être blessant, mais qu'à cela ne tienne: Tilika ne savait que trop bien que la vie ne faisait pas de cadeau. S'il se laissait aller, ce monde ne ferait qu'une bouchée de cet adorable petit garçon. Il devrait se battre, apprendre à maîtriser ce corps qu'était le sien, si particulier et inquiétant qu'il puisse être, et quitte à ne pas donner de coups, il lui fallait au moins apprendre à gérer cette arme par sa propre volonté et non selon les envies d'un hasard incertain et dangereux. De toutes ces choses-là, Tilika avait conscience, elle, et depuis un moment déjà, la fillette avait décidé de ne pas se laisser faire, d'avancer coûte que coûte, et de foncer droit devant en éclatant les obstacles qui oseraient se dresser sur son chemin. Ce gamin, elle l'aimait bien. Et bien qu'elle fut d'ores et déjà prête à lui venir en aide et le protéger s'il le fallait, elle n'en serait pas pour autant trop coulante non plus à son égard. Il fallait lui mettre les points sur les i s'il voulait survivre. Sinon, même si Tilika ou d'autres lui assuraient leur protection, il se ferait dévorer par la vie, tôt ou tard, et disparaîtrait. Et ça, Tilika ne le souhaitait surtout pas!

Une assez longue tirade, parsemée de pauses, mais la réponse était là, en grande partie du moins, aux interrogation de Tilika. Une réponse difficile à exprimer, qui avait sans doute demandé bien des efforts au jeune garçon pour qu'il puisse avouer ces choses. Il semblait comme... dégoûté de lui-même. Mais pourquoi? Beaucoup d'autres avant Tilika avaient du le juger sur cette capacité étrange, sans doute. Il n'était pas comme les autres, alors il était rejeté sans possibilité de se faire comprendre et accepter, tout comme elle. Et au lieu de se battre, il fuyait. Ce n'était pas ce qu'aurait fait Tilika, mais elle pouvait le comprendre. A sa façon, en s'isolant beaucoup, la fillette évitait, fuyait aussi ce genre de situation, bien qu'elle n'hésitât pas à user de ses poings lorsqu'on la cherchait, elle. Cependant, voir ainsi Koma se comporter comme s'il craignait qu'elle le repousse, soit dégoûtée de lui, l'irritait. Une folle envie de l'empoigner par le col pour lui faire comprendre que non, elle n'était pas comme tous ces gens-là, elle, l'envahit, mais elle se retint... à grand peine.

Analysant le flux d'informations que venait de lui déballer son interlocuteur, Tilika réfléchit un instant. Ainsi, une bêtise, il en avait déjà fait une. Ben alors? Il attendait quoi pour apprendre à maîtriser son arme à la con? Qu'il en refasse une autre, de bêtise, et encore une, jusqu'à ce qu'en plus de faire du mal à autrui, il finisse par se tuer lui-même, si personne ne l'a fait avant pour se débarrasser du danger qu'il représente? Il était donc si crétin que ça? Ou bien peureux au point de préférer se cacher et fuir éternellement, enfin tant qu'il le pourrait, plutôt, que d'affronter son problème et apprendre à le gérer?

Une chose à la fois. D'abord, rembarrer Khanuk et Kiny. Saluant poliment et gentiment le gamin, les deux invocations disparurent, sur demande de leur invocatrice, qui préférait rester seule avec son interlocuteur pour ce qu'elle allait dire ou faire ensuite. Seconde étape, rassurer ce nigaud quant à ce qu'il pouvait bien représenter aux yeux de Tilika. Prenant son carnet, elle rédigea sa réponse à ce détail, avant de déchirer la page et de la tendre à Koma.

- On dirait que tu veux que je te regarde comme si t'étais un monstre. Ben je ne suis pas comme ça. Je fuis pas, moi. Et si tu deviens dangereux, je me battrai, c'est tout. Je me laisserai pas faire, même si je t'aime bien. T'es gentil, et j'ai envie de t'aider. Mais t'es aussi trop peureux. Faut que tu te battes un peu, sinon tu vas pas vivre longtemps, même si j'essaye de te protéger. –

Pas du genre tendre lorsque la nécessité de se montrer dure est là, Tilika n'avait pas mâché ses mots. Elle l'aimait bien, et le lui avait signalé clairement. Mais elle ne lui ferait pas de cadeau pour autant, si de son côté il n'y mettait pas du sien. L'on ne peut sauver quelqu'un qui se noie si ce dernier refuse les bouées qu'on lui lance. Toute prête à l'aider s'il le désirait, prête à tout donner dans cette nouvelle mission si le gamin acceptait sa main tendue, Tilika n'allait pas non plus tenter de le sauver malgré lui. Rédigeant la suite, toujours aussi dure et directe dans ses paroles, la petite fille tendit bientôt un second billet au jeune garçon.

- Si tu veux que je t'aide, dis-le. Moi je veux bien. Mais si tu veux pas d'aide et que tu préfères fuir et te cacher en croyant que tout le monde va te détester, alors je veux pas être ton amie. Je m'en fiche que t'ai fait une bêtise déjà ou que tu ressembles à un monstre si tu utilises ton truc bizarre. Mais je veux pas me battre pour quelqu'un que je vais perdre après. Je veux plus perdre des gens que j'aime. Alors si tu veux pas te battre, je veux pas non plus être ton amie, parce que quand tu mourras, sinon, j'aurai trop mal. -

Encore une fois, telle une épée acérée dirigée sur le cœur du garçonnet, Tilika rendait son verdict. Elle l'appréciait, et l'aimait déjà beaucoup, le petit Koma. Trop à son goût au vu des risques que comportait apparemment cette amitié nouvelle. Encore un être trop faible qui allait mourir un jour, beaucoup trop tôt, sans qu'elle ne puisse le protéger car il était incapable de se défendre, de réagir comme il le devrait ou même, pire, il pouvait se tuer lui-même ou faire du mal à ses proches sans le vouloir, juste parce qu'il était trop couillon pour prendre sa vie en main, accepter la réalité et lui faire front. C'était dur, mais c'était ainsi. Malgré sa tête dure et son esprit combatif, malgré tous ses efforts pour survivre depuis la perte de sa chère maman, Tilika ne supportait plus l'idée de perdre un être cher. Elle se refusait toute relation autre qu'avec ses invocations à cause de cela, entre autres. Du haut de ses six malheureuses petites années, la fillette en était arrivé à ce point d'isolement que connaissent trop d'adultes craintifs de ne pouvoir protéger ce à quoi ils tenaient plus que tout. Elle préférait la douleur de la solitude à celle de la perte d'un être cher...

Le regard sombre de Tilika, exprimant un mélange de colère et de douleur, fixaient à présent ceux de Koma, sans s'en détourner. La fillette ne se rendait même pas compte des larmes qui débordaient à présent de ses yeux, inondant ses joues avant d'aller s'écraser à terre, tandis que ses petits poings s'étaient resserrés à lui en faire mal, dans sa rage impuissante de petit bout de chou haut comme trois pommes, déjà par trop atteint par la cruauté de cette vie... Pourquoi fallait-il que ce gamin refuse d'au moins prendre soin de lui, reniant son propre droit d'existence au point qu'il en risque sa vie et celle d'autrui, alors qu'elle l'appréciait? Pourquoi fallait-il qu'elle éprouve de la sympathie pour un être aussi faible et fragile que lui? Pourquoi ne pouvait-elle pas simplement rester seule, et ainsi ne plus risquer de perdre quelqu'un de cher à son cœur...? C'était vraiment trop injuste...

"Je ne veux pas te faire pleurer Tilika. Ni te faire souffrir, ce n’est pas du tout mon intention."

Pleurer? Elle pleurait? Ah, oui, même que Koma venait de lui essuyer quelques larmes, au coin d'un œil, de son pouce, tout doucement, triste d'avoir fait verser ces dernières à la fillette. Sursautant lorsqu'elle se rendit compte qu'effectivement, elle en était arrivée à ce stade pour un presque inconnu, qu'elle aimait beaucoup sans même le connaître, et venant de découvrir qu'en prime, il était bien trop faible pour survivre en ce monde, Tilika se figea. Hagarde, elle n'entendit qu'à peine les paroles suivantes du garçonnet. Pleurer... Elle ne devait pas pleurer, surtout pas! C'était un signe de faiblesse, et elle ne pouvait pas se le permettre. Si elle se montrait faible, ce monde la dévorerait, l'exterminerait!!!

Mener cette bataille seul. Même ces mots-là et l'essai maladroit du gamin pour se rattraper ensuite, Tilika ne les entendit pas. S'il voulait se battre, il le pourrait certainement, que ce fut seul ou avec de l'aide. Pour sa part, la fillette menait elle-même un combat difficile, seule, ou presque, et venant de perdre une bataille en laissant ses larmes couler sans même y prendre garde, elle se rendait compte de son immense faiblesse, de ce cœur d'artichaut dissimulé sous sa carapace d'orgueil et de dureté. Cette faiblesse ne lui laisserait aucun répit tant qu'elle ne l'aurait pas éliminée. Si pour cela elle ne devait plus avoir de cœur, alors elle était prêtre à se l'arracher s'il le fallait! Mais alors, quitte à devenir plus forte, ne deviendrait-elle pas comme Seridan...? Ca non plus, elle ne le souhaitait pas! Alors... quoi? Que devait-elle faire? Ensevelir ce cœur. Le garder, mais bien enterré, très profond, beaucoup, beaucoup plus profond sous cette couche qu'elle s'était évertuée, depuis un moment, à placer par-dessus telle une soi-disant protection, un pseudo bouclier prêt à parer les coups bas de la vie.

Relevant soudain son regard sur Koma, l'ayant détourné dès qu'il avait posé son doigt sur elle pour en ôter quelques larmes amères, la fillette paraissait désorientée, perdue, et surtout, étrangement, effrayée. Mais pas par lui: par elle-même. C'était clair, et même Koma ne pouvait penser que ce fut lui la cause de cette frayeur. Car Tilika ne le fixait pas comme s'il en était la cause. Elle avait porté les mains à son propre visage, presque instinctivement, perdue, pour y palper ces larmes sans trop y croire, avant de retirer vivement ses mains de ce contact trop humide à son goût. Ca n'allait pas! Pas du tout! Si elle pleurait déjà pour lui alors qu'elle venait de le rencontrer... il lui fallait l'oublier, et tout de suite! Se renfermer encore plus sur elle-même, dans cette coquille la préservant certes d'une amitié dont elle aurait bien besoin, amis aussi et surtout, de la douleur qui serait sienne lorsque cet ami, trop faible, mourrait lui aussi devant ses yeux, comme sa maman.

*Je veux pas, je veux plus sentir ça, ça faisait trop mal! Ca fait encore mal, d'ailleurs... Je veux plus!!!*

Paniquée, l'air presque terrorisé par ses propres larmes, la petite fille secoua soudain la tête, vivement, comme pour se remettre l'esprit en place, avant de griffonner trop rapidement, de manière à ceux que Koma puisse tout juste lire, bien qu'avec difficultés, un mot qu'elle lui fourra dans les mains avant de faire volte face et de détaler comme un lapin.

- Deviens plus fort!!! -

C'était encore une fois clair, net, précis, direct. Et Koma semblait assez malin pour comprendre ce qui avait motivé la fillette à écrire ces mots avant de détaler de la sorte, après avoir paru si désorientée, tellement perdue et même, effrayée par les larmes qu'elle avait senties sur son visage. Elle l'aimait bien, mais elle craignait trop de perdre encore un être cher pour s'attacher davantage à lui. En fait, la petite fille haute comme trois pommes refoulait ses sentiments et s'isolait presque dangereusement, jusqu'à préférer mourir que de seulement imaginer voir mourir ses proches. Elle voulait, elle espérait qu'il allait se battre, et devenir plus fort, lui aussi, pour qu'ils puissent se protéger l'un l'autre, s'entraider, grandir, devenir plus forts ensembles, tous les deux. Elle voulait devenir son amie, elle l'aimait sincèrement bien, depuis le début de leur rencontre quelques heures plus tôt à peine, mais craignait par trop d'encore souffrir que pour s'autoriser cet attachement...