L'errance, même momentanée, pouvait représenter un véritable suplice pour une âme dont la luminescence n'était pas apte à supporter la désespération, l'absence d'un quelconque but ou aspiration. Dans les pires des cas, elle menait irrémédiablement à la mort de l'esprit, qui, pourrissante, s'envolait au quatre vents pour s'unir une dernière fois au Monde, avant de disparaître. Ce statut spirituel désoeuvré, jamais le plus pieux des serviteurs de Jashin ne l'avait connu, cela depuis de bien nombreuses années. Auparavant, il n'y avait rien eu qui à ses yeux ait pu imposer sa surbrillance, et son rayonnement. Tout était apparu clairement au guerrier au coeur de feu lors de sa première rencontre avec l'unique divinité régissant les lois terrestres, et depuis, même lors des situations les plus platoniques et ennuyeuses qui lui étaient imposées, rien ne pouvait plus toucher à l'intégrité de son esprit, bâti en de solides murailles de béton et d'acier, inébranlable. Ainsi, même soumis à la déplorable molesse de l'Otokage lorsqu'il s'agissait de lui pointer de son doigt écailleux la prochaine opportunité de massacre, Yanosa ne débordait pas moins d'enthousiasme à servir les desseins autrement plus divins que ce pathétique réptile rampant de son Dieu. Il avait obtenu de lui ce qu'il voulait, et en était très heureux. Mais le Nukenin étatique en était arrivé à se demander comment un être aussi mégalomane et fébrile dans sa condition de simple humain pouvait avoir développé ce don, cette capacité à transmettre un pouvoir que lui même ne possédait pas réellement. C'était contre-nature, pensait Yanosa. Des lois qui régissaient le monde, il en était une à la quelle il accordait plus de crédit que les autres: on ne peut enseigner que ce que l'on maîtrise soit même.

Ainsi, la foi ne s'instruisait pas, mais l'accès s'en partageait tout simplement, et le jeune homme aurait été bien orgueilleux de pouvoir se déclarer capable d'enseigner sa foi. Il en allait de même pour toutes les disciplines, à commencer par les délicats Arts Martiaux, aux branches et alternatives diverses.


Même s'il ne ressentait donc aucun désarroi, Yanosa avait éprouvé le besoin soudain, presque inné, en proie à l'ennui de son inaction, d'aller explorer les territoires qui demeuraient sous le joug impitoyable du Grand Serpent. Par delà les murailles, et plus loin encore que les dernières bâtisses qui constituaient les prémisses du royaume déclaré, le jeune Nukenin était allé fouiller le fin fond des contrées habitables, ou seulement en partie propre à cet emploi, jusqu'à ce que ses pas le mènent dans des terres emplies de vicicitudes. Au sol, plus rien de solide ne retenait réellement les appuis des éventuels voyageurs. Des marais, avait-il compris. Des terres abandonnées, impropres à la culture, demandant trop d'entretien et surtout, n'étant d'aucune utilité pour personne. C'est en ces lieux que Yanosa stoppa son périple miniature, décidant de son plein gré que, ici, et seulement ici, son âme devrait reposer quelques temps. Pas bien longtemps, évidemment, mais suffisament pour s'imprégner de la nature particulière qui régnait alentours. Plantant le tranchant de son épée dans le tronc d'un rare arbre massif et consistant, il la laissa à cet endroit, libre de l'amplitude de ses mouvements, libre tout simplement, la main bienveillante de Jashin l'intimant à agir ainsi sans questionnement ni inquiétude. L'atmosphère dans ces marais était tout sauf banale, et le jeune homme sentait comme une infinité de combinaisons et de sentiments y fluctuant en tout sens.

Du gris, et un vert olive peut ragoûtant composaient les seules teintes du paysage maigrelet. Une morosité seulement apparente, et, qui plus est, qui ne resterait pas imposées aux rétines incandécentes du jashiniste bien longtemps encore. Quelques dizaines de mètres à peine, au loin, se dessina comme venant de nulle part une silhouette massive, coupant la ligne des arbres au travers de l'horizon. L'attention de Yanosa, piquée au vif, se porta sur l'homme qui finit d'apparaître au grand jour: cheveux rouges sang, simplement vêtu d'un kimono vert-gris, ses yeux semblaient briller au loin d'une lueur malsaine et assumée. En plus de cela, la stature de l'homme, manifestement guerrier aguerri, était imposante parmi tant d'autres, ses muscles saîllant comme des lames affûtées, visibles même avec la distance. Qu'est-ce que le jeune Nukenin aurait pû trouver de plus intéressant et excitant que cela ? Pas grand chose en vérité. Tout semblait attirer les deux hommes, ne s'étant même pas encore croisés du regard, l'un vers l'autre, vers un maelström de destiné.


Un clignement de paupière. C'était ce qui avait suffit. Disparaissant du lointain, l'illustre inconnu réapparu au devant de Yanosa, comme littéralement téléporté, poing armé, et sitôt asséné au sein de l'estomac du Jashiniste.

* Quoi... ?! *

Interloqué, c'était moins le coup encaissé qui coupa la chique à Yanosa, mais plutôt le déplacement, inhumain, presque divin, dont il venait d'être le "témoin". Il n'avait rien vu. Et la force que projettait l'individu, diabolique, dans son buste, était loin de ternir le tout. Mais qui pouvait bien être cet homme, qui semblait aussi affamé de combat et dévoué à la cause du combattant que ne l'était Yanosa lui même ?

De plus près, les deux hommes mêlant presque leurs énergies purent se jauger plus précisément. Un seul instant suffisait pour cela, et alors que la force du coup de poing décoché faisait perdre ses appuis au sol à Yanosa, ce dernier pût observer les traits démoniaques qui formaient le visage du terrible combattant, son teint basané et sa peau laminée de cicatrices en tout genre formant un mélange des plus convainquant pour le jeune Nukenin, qui ne pouvait pas se tromper en affirmant que cet homme était d'une puissance phénoménale. Que Jashin bénissent les pas qui l'avaient menés jusqu'ici, car il allait sans doute s'agir de la plus belle joute dont il aurait bénéficié depuis des mois. Enfonçant toujours plus fort son poing d'une force incroyable dans l'estomac du Nukenin, le choc prolongé emmena les corps des deux hommes jusqu'aux abords d'un tronc suffisament solide pour que le jeune homme puisse y reprendre appui. Crachant une gerbe de sang sous le coup de l'impact, les comissûres des lèvres de Yanosa n'en demeuraient pas moins étirées en forme d'un sourire carnâssier, empreint d'une jouissance intérieure avérée. Sa jambe droite chargée de chakra, il contrebalança donc habilement la force de son adversaire en envoyant son membre se ficher sur l'écorce de l'arbre, stoppant net tout mouvement. Ce faisant, Yanosa se retrouva légèrement surélevé par rapport à l'homme, qui était toujours dans la position initiale prise pour décocher son coup de poing fulgurant. Sans tarder, la réplique arriva, sous une forme similaire, le poing tendu de Yanosa venant frapper de plein fouet le haut du dos du guerrier de l'ombre, l'envoyant à terre dans un nuage de poussière humide et dense.


La dissipation de l'écran naturel sembla prendre des heures, condensées en un seul moment expectatif, tandis que le jeune Nukenin, un tant soit peu essouflé par le coup reçu, observait attentivement autours de lui. Lorsque les particules en suspension furent suffisament retournées à la terre, à quelques mètres devant lui réapparu la silhouette massive de l'inconnu, son chignon rouge déjà caractéristique au sommet du crâne. De son bras, l'on pouvait entendre un léger crépitement acidulé, qui lui valut un léger rictus de mécontentement. Allait-il repasser à l'attaque dans l'instant, ou savourait-il, tout comme Yanosa, l'instant présent de calme avant la tempête ? Dans tous les cas, aucun mot n'était de rigueur dans ce rapport de force purement physique et mental. Imperceptiblement, des deux côtés, les muscles se bandèrent à nouveau à leur paroxysme, faisant reluire les conduits vitaux sous la peau des combattants, et annonçant la reprise de cette prémisse de joute entamée.

Sans un bruit, autre que les légers râles poussés lors de l'impulsion initiale, les deux hommes réengagèrent les hostilités, dans un fracat indescriptible de coups et de parades, dont les ondes de choc faisaient presque chuter les arbustes les plus fébriles. Les sauts s'enchaînaient sans fin, débouchant sur d'effroyables coups de pieds propres à arracher littéralement la tête d'une humain normal. Sans s'arrêter un seul instant, les deux hommes dont la chevelure faisait écho l'un à l'autre bataillèrent, sans aucune raison apparente, sans d'autre but que de mettre en exergue leur maîtrise de l'art du combat, afin de l'imposer à l'autre. Toutefois, un observateur aguerri pouvait dégager de l'entremêlement des corps une conclusion rapide, que Yanosa lui même commençait à intégrer lors de ses mouvements. Le sombre inconnu avait l'avantage, et pas qu'un peu. Ouvert aux coups, les encaissant pour la plupart sans broncher, le jeune Nukenin voyaient les siens souvent annulés, portés dans le vent, ou échoués sur une musculature bandée à son maximum. Ainsi, l'épuisement vint de manière très inégale s'installer chez les deux combattants, et alors qu'un ultime coup de pied direct percutait Yanosa apour le faire s'échouer plusieurs mètres en arrière, la différence était faite. peinant à se remettre sur pied, le Nukenin atteignait ses limites d'efficacité. Face à lui, l'illustre inconnu, à l'aura noire comme le charbon, se tenait tout au plus sur les genoux, expirant difficilement, mais toujours prêt à parer et enchaîner les coups.


Quel coup du sort. Tomber sur plus fort et résistant que soit. Jamais le jeune Jashiniste n'aurait cru ça possible, même si, de prime abord lors de sa rencontre avec l'homme, il avait su que ce dernier était d'une force incroyable. Sa vitesse, qui plus est, surpassait largement celle du jeune homme, le surclassant globalement pour ainsi dire de manière concrète. Mais la plus grande surprise qu'éprouva Yanosa, fût celle qui lui intima que, depuis le départ, même lui, fanatique massacreur, n'avait eu aucune intention d'intenter à la vie de ce démon alter ego. Et de la manière dont tournait les événements semblait confirmer la réciproque. Bras le long du corps, comme relâchés, le sombre inconnu s'approcha lentement, pas à pas, de son camarade de joute improvisé. Les deux hommes croisant pour la première fois aussi profondément leur regard l'un dans l'autre, une estime innée semblait naître, ainsi qu'un conflit qui serait certainement destiné à perdurer.


" - Quel est ton nom, toi qui me resiste avec tant d'ardeur, et qui arrive même à me blesser ?

- Je me nomme Yanosa... Et puis-je apprendre le nom de celui qui vient de me mettre à terre avec tant de force *Kheuf* ?

- Huu, tu ne me connais pas hein ? C'est bien ce qu'il m'a semblé. Mais quand bien même tu aurais su mon nom, ou été au fait de mon existence, je suis sûr que tu n'es pas homme à fuir un combat. Je ressens ces choses là. Mon nom est Gouki. Et tu es le premier homme à survivre, et de bien belle manière, à un combat avec moi.

-La seule chose qui me surprend, c'est de n'avoir pas pu vous faire plier... Gouki-san.

- Hahahaaa !! T'es un marrant toi !

Quoi qu'il en soit, si l'envie t'en prend, trouve mon Dôjo, non loin d'ici. On pourra se rouer de coups autant que tu voudras là bas. Car oui je le sais. T'as autant kiffé ce combat que moi, pas vrai petit ?

- ... Kukukuu, c'est vrai... Alors comme ça vous tenez un Dôjo. Je suppose que c'est en ces lieux que vous avez maîtrisé ces mouvements, Gouki..senpai.

- J'en dirais pas plus. Rejoins moi là bas, ou remets au destin le temps de notre prochaine rencontre. "


Sur ces quelques mots échangés à la plus grande surprise de Yanosa, l'individu, nommé Gouki, se substitue tout simplement à sa vue, laissant à peine une traînée de poussière s'envoler là où reposaient ses pieds nus un peu plus tôt. Une rencontre étrange, ou magnifique ? Sûrement un peu des deux, mais le jeune homme savait que Jashin n'y était pas pou rien. Rassembler la noirceur, pour créer les plus beaux massacres à l'avenir... Voilà un plan qui ressemblait bien à sa divinité, pensait Yanosa. Détachant son épée de l'écorce massive où il l'avait laissée, le Nukenin se remet patiamment en route, s'époussetant à l'occasion, brûlant d'impatience pour la prochaine joute qu'il pourrait livrer avec Gouki... Si Dieu le voulait bien.