[Note: ce rp est un flashback se situant 7 ans en arrière. Tilika a pour le moment 5 ans, et Hinako en a 12. Elle n'est encore que genin, et Tilika, civile.]

Combien de semaines s'étaient donc écoulées depuis qu'elle était arrivée à Kumo? Depuis qu'elle avait perdu sa maman? Depuis qu'on l'avait forcée à manger dans cet hôpital tandis qu'on se demandait quoi faire d'elle et que, déprimée, elle n'avait guère envie d'avaler quoi que ce fut à ce moment-là? Depuis que Seridan l'avait adoptée? Depuis qu'il avait commencé à l'entraîner? Seridan... Il lui avait bien menti, lui, sur qui il était vraiment. Jamais elle n'aurait accepté de lui être confiée, si elle avait su! Ce type était détestable, vraiment horrible, incapable de témoigner de l'affection, de faire un câlin, de rassurer une petite fille perdue ayant vu sa maman mourir sous ses yeux il y a si peu de temps encore... Il était inhumain ou un truc du genre, Tilika ne voyait que ça. Et donc, sous la tutelle de ce monstre incapable d'émotions humaines, du moins de démonstration de celles-ci, autres que les négatives en tous cas.

* Maman... *

Sa maman lui manquait. Pour faire face au monde rude et impitoyable dans lequel la petite fille venait de se voir propulsée, ainsi en proie à l'adversité, elle avait pris sur elle, s'était construit un début de coquille protectrice, et avait changé. Oh oui, elle changeait... Et pas en bien, elle en avait bien conscience. Tel un château de cartes géant construit avec patience durant des années par sa maman, sa bonne éducation s'envolait à présent sous les rafales des difficultés de sa vie. Elle s'en rendait compte mais ne pouvait rien y faire. C'étaient à chaque fois des réactions instinctives, sur le moment, guidées par ses pulsions les plus primaires d'autodéfense face à ce qui pouvait se présenter d'agressif à son encontre. Et ça s'empirait à chaque fois, sa confiance en autrui, en la gente humaine en général d'ailleurs diminuant davantage à chaque nouvelle épreuve. A ce rythme-là, sans doute finirait-elle seule au monde avec juste Kiny comme ami, ne faisant plus confiance en aucun adulte ou autre humain que ce fut et préférant ne compter que sur elle-même et sur personne d'autre concernant sa survie en ce bas monde pourri...

* Maman, reviens... Pourquoi tu m'as abandonnée? Pourquoi t'es partie sans moi? Pourquoi tu m'as pas emmenée avec toi? Je sais pas où tu es partie, mais, s'il te plait... reviens me chercher... S'il te plait... *

Elle pleurait, serrant doucement Kiny contre elle... Kiny qui, tout malheureux, ne savait pas comment se comporter, que faire, et se blottissait tout contre elle pour la réchauffer de son amitié, espérant ainsi pouvoir l'apaiser au moins un peu. En vain. Assise sur une caisse trainant dans la ruelle mal famée ou presque dans laquelle habitait son tuteur et donc elle avec par définition, la petite fille essuyait ses yeux d'un revers de manche en déglutissant, espérant que personne ne passerait pour la voir ainsi. Jusqu'ici, que quelqu'un la voit pleurer ne l'avait jamais dérangée... Sa maman l'avait toujours consolée avec tendresse, rassurée avec patience... Et qui irait juger une enfant de cinq malheureuses années en proie aux larmes? Personne d'humain, sans doute. Pourtant, depuis qu'elle vivait sous la tutelle de Seridan, la fillette avait changé sur ce point-là également. Elle ne se sentait plus le droit de pleurer... Seuls les faibles pleuraient. Et les faibles ne survivaient pas dans ce monde. Survivre... En fait, pourquoi survivre? Avait-elle réellement envie de vivre, au final? Étrangement, oui. Sans doute que les notions inculquées par sa chère et tendre maman au sujet du respect à avoir envers la Vie ne s'étaient-elles pas vues occultés de sa mémoire par les épreuves l'ayant assaillie ces derniers temps, encore, elles.

Reniflant bruyamment, la petite fille aux sanglots silencieux essuyait maladroitement ses grands yeux foncés, rougis, espérant n'avoir été vue de personne. Mais après tout, Seridan était parti en mission, histoire d'avoir de quoi les faire vivre tous deux... Les habitants de cette rue préféraient passer le moins de temps possible dans la rue, et à l'exception des sales gamins qui en avaient fait le territoire de jeu de leurs bandes, les autres demeuraient chez eux ou quand ils sortaient, ne stationnaient pas dans les parages, se rendant directement à leur travail ou autre. Tilika était seule, son agneau dans les bras, assise sur cette fichue caisse à moitié pourrie, et seuls quelques adolescents bagarreurs, à l'autre bout de la ruelle, jouaient entre eux, sans sembler se préoccuper de sa présence, ou ne l'ayant pas encore remarquée... De toutes manières, qu'est-ce qu'une mioche comme elle, haute comme trois pommes, âgée de cinq ans, orpheline et handicapée, muette, pourrait bien avoir d'intéressant, hein?

Du haut de sa caisse, Tilika tenait toujours Kiny dans ses petits bras, serré tout contre elle, tandis que son regard se perdait à l'horizon, où une bande de garnements jouant entre eux poussait cris et rires sans sembler faire attention à sa présence à elle... Du moins, au début. Au bout d'un moment, l'un d'eux la remarqua, s'avança, et ses compagnons à sa suite, soit-disant venus lui proposer de se joindre à leurs jeux. Elle avait considéré la proposition avec surprise, et un sourire timide avait fini par étirer ses lèvres, mais alors que l'espoir naissait à peine en son cœur d'enfant trop esseulée, Tilika vit et entendit ses interlocuteurs rire, se moquer, et même, ils commencèrent à la bousculer pour qu'elle réponde plus vite. Elle n'avait même pas eu le temps de hocher la tête en signe d'affirmation ou de négation, rien. Ils voulaient une réponse, et une réponse orale et rapide, ce qu'elle était bien évidemment incapable de leur fournir. Sans vraiment comprendre ce qui lui arrivait, la petite fille finit par se faire renverser de sa caisse, se retrouvant à quatre pattes par terre, Kiny sous elle, qui pour le coup eut toutes les peines du monde à préserver son identité de peluche inerte... Pas question de dévoiler à quiconque le fait qu'elle possédât une invocation, c'était un secret.

* Kiny... Dé... Désolée!!! *

Confuse, elle avait repoussé la 'peluche en forme d'agneau' sur le côté, hors de portée des gamins, se plaçant entre Kiny et les sales gosses de manière à ce qu'ils ne le remarquent même pas et concentrent son attention sur elle. S'ils voulaient s'en prendre à quelqu'un, Tilika préférait que ce fut à elle plutôt qu'à son ami et seul proche lui restant au monde, forcément. Pour autant, la fillette n'appréciait pas l'idée de se faire maltraiter, et d'ailleurs, son petit corps s'était tendu, figé, et elle avait fermé les yeux dans l'attente des premiers coups à venir... mais qui ne vinrent pas. Elle finit par rouvrir un œil, perdue, cherchant à comprendre ce qui se passait...

« Vous voulez de l'aide, peut-être? »

Qui que fut cette gamine, elle venait de faire déguerpir les apprentis tortionnaires de Tilika, et la petite muette ne pouvait, dès lors, que lui en être reconnaissante. Les gosses bagarreurs s'éloignaient déjà, la blonde en kimono les ayant fait quitter les lieux, et la genin, de ce qu'elle en avait dit, s'était tournée en direction de la proie qu'elle venait de sauver des griffes de ses prédateurs, un sourire gentil aux lèvres.

« J’espère qu’ils ne vous ont pas fait de mal, à ton ami et toi. »

Son ami? Ah, la 'peluche', Kiny! Oui, car elle autant que lui faisaient toujours leur maximum pour qu'on prenne la petite invocation mineure comme une peluche. La maman de Tilika leur avait toujours bien fait comprendre à quel point c'était important, aussi faisaient-ils de leur mieux péour préserver le secret de la réelle nature de Kiny.

Un regard à son ami, toujours étalé au sol, derrière elle, à l'abri, confirma à Tilika qu'il allait bien. Il était couvert de poussière, sans plus, et ne souffrait d'aucun mal, heureusement.

« Je suis Hinako. Quel est ton nom, à toi? Et lui, comment il s'appelle...? »

Au moins, souffrir du handicap de mutisme natal face à cette petite fille-là n'était pas gênant pour cette dernière, qui semblait capable de tenir une conversation à elle seule sans attendre absolument de réponse en retour à ses nombreuses questions! Amusée, Tilika sourit légèrement, avant de chercher après son carnet, dans sa poche, et de quoi écrire dessus, matériel indispensable à l'enfant si elle désirait communiquer. Le langage des signes, ici, personne ne le connaissait, forcément... Ni son tuteur, ni les shinobis en général, ni, sans doute, cette gamine, là, face à elle.

« Dis-moi, que fais-tu dehors ici, toute seule? Il commence à être tard... Tes parents habitent-ils dans le quartier? »

Décidément, on ne l'arrêtait plus! Heureusement que Tilika, habituée très jeune, par sa maman,l à étudier, beaucoup lire et tout autant écrire, possédait une bonne mémoire! Avec patience, cette dernière tirade de son interlocutrice terminée, Tilika entama donc sa réponse sur son petit carnet, avant de tendre la page sur laquelle elle avait rédigée celle-ci à la dénommée Hinako.

- Je m'appelle Tilika. Ma peluche s'appelle Kiny. C'est ma maman qui me l'a donnée. Et mon tuteur est en mission, je crois, alors j'attends qu'il rentre ici. Dans l'appartement, je n'aime pas rester seule. -

Elle espérait ne rien avoir oublié, et avoir bien répondu à chacune des interrogations de la si jolie et gentille petite fille, plus âgée qu'elle, qui se tenait là! Après tout, lorsqu'on s'adresse à vous, la politesse veut que vous répondiez. Et en plus de se montrer aimable avec elle, cette Hinako l'avait protégée, défendue face à cette bande de gamins. Tilika lui devait donc, au minimum, une réponse aussi complète et claire que possible!

« Enchantée, Tilika-san. Si tu veux, je peux attendre avec toi que ton tuteur revienne, qu’en dis-tu? Cela éviterait que tu ne restes toute seule dehors. Le temps passe plus vite quand on s’occupe. »

Elle était vraiment gentille, cette petite fille en kimono! La jeune orpheline, qui commençait à laisser la désillusion l'envahir face aux facéties de la Vie à son encontre, se dit sur le moment que tout n'était peut-être pas si sombre, au final. Il existait encore des gens sympathiques autour d'elle, apparemment... Cette gamine de sept années son aînée le prouvait à l'instant, l'ayant défendue et lui proposant à présent de s'occuper d'elle, sans rien attendre en retour à première vue. Même, la dénommée Hinako déballait à l'instant un petit set de calligraphie d'une bourse à l'air aussi riche que sa tenue. Ce devait être une gosse de riche, de l'un de ces seigneurs de ce monde pouvant se permettre tous les excès ou presque, possédant nombre de serviteurs... ou pas. Mais sur le coup, ce fut le souvenir qui s'imposa à l'esprit de la petite Tilika. Après tout, la jeune muette n'avait vécu que sous le joug de maîtres, elle et sa mère étant esclaves avant qu'elle ne devienne orpheline et se retrouve à Kumo, puis à la charge de ce Seridan...

Être l'enfant de parents aisés et libres, ce devait être quelque chose de bien, sans doute... L'on avait tout ce dont on avait besoin et même davantage: tout ce dont on pouvait bien rêver ou presque, sans doute. Notre situation nous permettait alors de nous vêtir de manière aussi somptueuse et élégante que cette Hinako, là... L'on devait manger à sa faim à chaque repas, et de ces mets dont une gamine du rang social de Tilika ne pouvait qu'avoir imaginé un jour parfum et goût... L'on devait dormir dans un lit confortable, moelleux à souhaits, la douceur des draps fins caressant notre peau en été, tandis que l'on ne souffre jamais de froid en hiver, bien emmitouflé dans une épaisse couverture de duvet sentant bon et tout aussi douce que les draps légers... Tilika n'avait connu que les couvertures de laine brute destinées aux pauvres, elle. Ça piquait, ça grattait... Mais bon, les chose étant ce qu'elles étaient, la muette savait que désirer le bien d'autrui n'apportait jamais rien de bon, et que tout bien ne s'obtenait qu'à la sueur de son propre front. C'était là l'une des leçons de vie que lui avait inculqué sa maman avant de mourir. Pourtant, n'avait-elle pas elle-même trimé dur toute sa chienne de vie pour n'en récolter que coups, insultes, mauvais traitements, et finalement, la mort sans honneur, traînée dans la boue et son propre sang juste pour protéger la vie de son enfant?

« Tu t’entends bien avec ton tuteur? Tu sais quand il va rentrer? Et puis… Je sais que ce n’est pas poli mais… Tu ne peux pas parler? »

Revenant à la réalité, confuse, Tilika rosit légèrement d'avoir été si distraite... Que disait-elle, déjà, l'autre petite fille? Ah, de nouvelles questions... Forcément. Et d'ailleurs, avant même que l'orpheline ne réponde, Hinako lui en posa encore une dernière:

« Tu ne vis pas avec ta maman? »

Un peu fatiguée moralement, mais se voulant encore polie, bien élevée, voulant faire honneur à sa défunte mère, l'enfant reprit son calepin et son stylo pour répondre, une fois de plus, à sa bien curieuse interlocutrice. Elle écrivait vite, mais bien, de manière appliquée, sa maman s'étant montrée toujours très stricte là-dessus. Il fallait bien compenser son handicap de manière à pouvoir communiquer avec autrui couramment, pour autant que possible. Le langage des signes, malheureusement, n'était que trop peu répandu en ce bas-monde...

- Ma maman est morte. J'ai été confiée à Sarian Seridan, qui est mon tuteur. Je ne sais pas quand il va rentrer. Parfois il rentre très tard, parfois pas. Tu me montrerais ta maison? -

Y aller par quatre chemins n'avait jamais été dans l'optique de la muette. Écrire pour s'exprimer induit d'aller directement à l'essentiel, pour autant que possible, sous peine de se voir rédiger des romans entiers à chaque dialogue. Seridan, beaucoup le connaissaient de nom, et sa réputation était... mauvaise. Un sale gosse qui vivait seul, n'avait aucun ami, pas de famille... On ne savait pas grand chose de plus sur lui sinon que personne ne semblait l'aimer. Quant à la requête de Tilika, la muette espérait ne pas gêner Hinako, et si elle ne voulait ou ne pouvait pas, celle-ci refuserait, sans doute. Mais même s'il devait s'agir d'un seul instant de chaleur humaine pour elle dans cette nouvelle vie à Kumo, Tilika se sentant bien avec cette petite fille, elle espérait qu'elle pourrait l'accompagner chez elle. Passer un peu plus de temps à ses côtés, dans un foyer véritable, une maison accueillante, où elle ne serait ni esclave ni rien d'autre que simplement invitée... Juste une fois, se disait-elle, ce serait bien...

« Enfile ça, je vais chercher à manger et voir s’il y a du monde à la maison, d’accord ? Je reviens tout de suite. Fais comme chez-toi, dessine, fouille, farfouille… »

Sans un mot de plus, la gamine s'en était allée, laissant la petite Tilika toute seule dans cette grande chambre, presque impressionnante pour elle, face à ce vêtement prêté ou, elle n'en savait trop rien, offert, et qu'elle devait enfiler... Oui, mais comment? Jamais elle n'avait eu de si somptueux vêtement à se mettre, et de nœud si compliqué à faire, de pans de tissus à ajuster de manière précise si elle ne voulait pas juste ressembler à un paquet d'étoffes colorées! Embarrassée, Tilika l'enfila tant bien que mal, ne voulant pas se montrer malpolie envers son hôtesse. D'autant plus qu'elle s'était un peu invitée elle-même, ce qui ne se faisait déjà pas. Sa maman aurait sans doute été horrifiée de la voir faire cette requête à l'autre enfant, tout à l'heure, et l'aurait-elle grondée, pour la peine!

Quand Hinako reviendrait, toutes deux iraient manger un morceau ensemble, avait-elle annoncé. Manger un morceau ensemble...? Ici, dans cette somptueuse demeure? Les yeux brillants, Tilika n'osait qu'à peine imaginer quel genre de mets l'on pouvait bien préparer et servir en ces murs... Ce devait forcément être très bon! Et copieux! Ah, bah oui, Seridan, il n'était pas bien riche, après tout! Pas qu'il laissât sa pupille crever la dalle, mais l'on ne pouvait pas vraiment qualifier leurs menus de gastronomiques... L'équilibre alimentaire, ça se payait! Et l'argent, ce n'était pas une chose qui coulait à flots chez 'les' Sarian...

* Je n'arrive pas à le mettre comme il faut... Elle ne ressemblait pas à ça avec le sien, de kimono, Hinako-san... *

Embêtée, Tilika se considérait dans une glace, constatant avec dépit que malgré ses efforts, son habillement n'était pas des plus réussis. Mais, pas du genre à abandonner facilement, ne lâchant prise que lorsqu'elle na plus de force pour la tenir, la prise, l'enfant s'acharna, encore et encore, essayant, testant mille et unes options de plis, de noeuds, en vain. Hinako devait s'imaginer que sa petite invitée fouillerait sa chambre, comme si gentiment proposé, chercherait de quoi dessiner, se montrerait curieuse, comme tout enfant de son âge normalement constitué le ferait sans doute. Mais non. Tilika, quand elle avait une idée en tête, ne l'avait pas ailleurs. On lui avait demandé d'enfiler ce kimono. On l'invitait à partager un repas de riches. Elle ne pouvait pas s'y présenter mal vêtue, cela ne se faisait pas. Aussi se mit-elle en devoir de continuer à chercher un agencement correct et présentable avec cet amas de tissus colorés communément nommé kimono, mais qui devait davantage passer pour un casse-tête chinois, là, pour elle, en ce moment...

« Hina-chan, tu es rentrée? Excuse-moi de ne pas être venue te dire bonjour immédiatement, je viens juste de rentrer. »

Sursautant, Tilika s'était vivement retournée, son petit visage poupin s'empourprant rapidement de gêne face à la grande et si belle dame qui venait d'entrer dans la pièce. D'une élégance des plus raffinées, elle semblait presque sortie de l'un de ces tableaux peints à l'encre de chine, représentant les femmes d'un grand seigneur, aux traits aussi fins et délicats que ceux des plus jolies fleurs elles-mêmes. Impressionnée, la petite fille ne pipa mot, et ne parvint pas à réagir de quelque manière que ce fut, en fait. Car oui, ne pas piper mot, lorsqu'on est muet, c'est normal... Mais au moins aurait-elle pu répondre en rédigeant sur son carnet, comme d'habitude! Seulement, là, l'enfant se trouvait par trop surprise et ébahie face à cette dame qu'elle n'osait plus rien faire. Elle ne put enfin réagir que lorsque la dite dame eut fini de remettre en place les pans de son kimono, le lui ajustant comme il le fallait tout en l'interrogeant.

« Oh, excusez-moi jeune fille, je ne pensais pas qu’Hinako n’était pas seule… D’ailleurs, elle n’est pas ici? »

Encore intimidée, Tilika secoua cependant négativement la tête. Hinako n'était plus là, elle l'avait effectivement laissée seule dans sa chambre, pour le moment du moins. Se laissant faire lorsque la mère d'Hinako la fit tourner sur elle-même, vérifiant l'exactitude de son œuvre, Tilika prit ensuite son carnet, tandis que la dame l'interrogeait encore.

« Je suis Mujô Fujiwara, et toi? »

- Je m'appelle Tilika, madame. Je suis muette, mais je sais écrire. Hinako-chan m'a invitée et elle a dit qu'elle allait revenir, mais que je devais mettre ce kimono avant. Merci de m'avoir aidée. Moi, je n'y arrivais pas. -

Elle lui sourit timidement, les joues roses, en lui tendant le papier une fois sa réplique achevée. Son regard passa ensuite sur le tas de ses vêtements habituels, pourtant correctement pliés et posés sur le sol, à côté d'elle, mais qui n'avaient rien de bien reluisants, eux. Sales, usés, sentant presque mauvais à côté de cette merveilleuse odeur sucrée émanant de la jeune femme penchée vers elle, ils faisaient pitié, et l'enfant se sentit tout à coup envahie de honte. Elle aurait du prendre un bain, se laver, au moins, avant d'enfiler ce si joli kimono, tout beau, tout propre... Ne sachant plus où se mettre, la pauvre Tilika pria intérieurement pour qu'on ne lui en tienne pas rigueur... Elle ne pouvait se payer le luxe de bains parfumés, elle, après tout!

« Tu as un très joli nom… Et tu écris très bien. »

Un nom... Ou plus précisément, un prénom. Point de nom de famille pour la petite orpheline... A part peut-être celui de son tuteur, selon la loi, sans doute... Sarian Tilika... Frissonnant, la gamine réprima un frisson et préféra se concentrer sur les compliments faits à son prénom, don de sa défunte mère, et son écriture, aussi due à la même personne, qui s'était acharnée à lui en enseigner l'art dès son plus jeune âge. Flattée, la petite fille sentit ses joues s'empourprer. Cette dame était décidément aussi gentille que jolie et élégante! L'on eut dit l'une de ces poupées japonaises, toutes de porcelaine et d'étoffes précieuses joliment arrangées, fragiles, mais tellement belles, à l'aspect si délicat... Tilika se sentait vraiment impressionnée. Même les épouses de ses anciens maîtres n'avaient jamais arboré pareille beauté. Même sa maman é elle, bien que plus pauvrement vêtue au vu de son statut d'esclave, bien que très jolie, semblait faire bien pâle figure comparativement à la maman d'Hinako, dans l'esprit de la petite muette. Elle semblait presque... irréelle.

Fujiwara Mujô impressionna encore davantage la gamine en utilisant pour elle le langage des signes. De un parce que d'ordinaire, à l'exceptions des muets eux-mêmes et de leurs proches, famille et amis, ainsi que du personnel médical gérant ce genre de handicaps, personne n'apprenait ce genre de langage. D'autant plus dans cet univers de shinobis et de guerres incessantes... Les muets étaient rares, de toutes manières: les handicapés ne survivaient que rarement à ce monde. De deux, parce que Tilika n'avait montré aucun signe de connaissance de ce langage. Comment Fujiwara pouvait-elle savoir si l'enfant le connaissait ou pas...?

Dans tous les cas, avant que l'enfant ne puisse répondre, encore trop surprise pour cela, elle vit la porte se rouvrir et Hinako entrer, un plateau chargé de choses toutes plus agréablement parfumées les unes que les autres, sentant aussi bon qu'elle n'étaient appétissantes à voir, d'ailleurs. Les yeux de la petites filles brillèrent autant que son estomac ne se fit bruyamment entendre à cette merveilleuse apparition. C'était... vraiment pour elle, tout ça Avait-elle réellement le droit de manger ce genre de mets raffinés et de s'en remplir la panse comme l'en suppliait actuellement son petite estomac gourmand et trop vide? Tilika n'en revenait pas. Finalement, se faire inviter par cette gamine plus âgée qu'elle n'était pas une mauvaise chose, au vu de ce qui en découlait à présent pour elle! A se demander quelle serait la prochaine étape de ce rêve éveillé!

« A très bientôt jeune fille! Garde ça sur toi, ça te portera chance. »

Revenant à la réalité, Tilika hocha timidement la tête avec un temps de retard; la maman d'Hinako était déjà repartie, laissant là la rêveuse muette, encore à moitié perdue dans ses pensées. Elle venait de lui faire un magnifique cadeau, et l'enfant le tenait entre ses petites mains, intimidée. Cette famille de riches semblait bien gentille et accueillante, même envers une moins que rien, une enfant d'esclave comme elle, handicapée de surcroit. Seridan, lui, se montrait brutal, désagréable, sans aucun sentiment, froid... Et si elle demandait à ces gens de la garder avec eux... accepteraient-ils de s'encombrer de sa petite personne? Sans doute que non... Il ne fallait pas trop rêver non plus! Et puis, les autorités de ce fichu village de pluies et d'orages incessants l'avaient confiée à ce Sarian Seridan, en qui elle avait placé sa confiance à leur rencontre, le genin l'ayant alors bien trompée sur ses véritables intentions à son égard autant que sur ce qu'il était, lui. Il l'avait prise sur ses épaules, s'était montré presque fraternel... Mais tous ces petits jeux, c'était bien fini, maintenant. Il avait obtenu ce qu'il convoitait, et n'avait plus besoin de jouer la comédie...

Hinako lui proposait de ne rentrer que le lendemain, et Tilika, entendant cette proposition, revint une fois de plus à la réalité. Décidément, garder les pieds sur terre devenait de plus en plus difficile, ici! Jamais encore Tilika ne s'était vue autant choyer et chouchoutée par autrui, d'autant plus par des riches... Rosissant, elle hocha affirmativement la t'ete en signe d'acceptation. Seridan dirait bien ce qu'il voudrait, la frapperait même s'il le voulait, le lendemain: ce soir et cette nuit, Tilika s'offrait le luxe d'accepter de rester auprès de cette si charmante famille! Et pour commencer la dite soirée, ce repas lui titillait autant les narines que les yeux, son estomac gargouillant à n'en plus finir à la vue et l'odeur de ces mets entreposés là, devant elle...