La fraîcheur lancinante de la neige. Une ascension qui faisait se crisser la matière si noble et pure sous les semelles de cuir, dures et brutes, matériau vicié par l'homme piétinant son confrère d'autrefois. Le vent souffle par bourrasque, inattendues, faisant chuter des amalgames de pierres et de neige, mais s'effaçant, comme peureuses, face à la stature emmitouflée de drapures grossières et vétustes de l'homme qui gravit tel un conquérant la montagne, suprême. Seule la chevelure de feu de l'individu au coeur non moins enflammé bat le tempo imposé par les intempéries, sa teinte presque florale se dotant ça et là de pointes blanchâtres, flocons échoués dans les filets d'une ombre aux pourtours de lumière. Nukenin de son état, l'homme, dont la seule chose qui le différencie du commun mortel de part son apparence demeure son épée, gigantesque, et indisociable de son corps balafré, entreprend cette montée contre la nature dans l'unique but de faire parler le fer, de faire rugir l'acier et de répandre le rouge noirâtre du sang sur les étendues de neige pures.

Des kilomètres plus bas, les rumeurs vont bon train, à propos d'une assemblée de guerriers, qui se serait appropriée les lieux trônant sur la vallée. Il n'en fallait pas plus pour que l'individu, empli d'un délice macâbre, ne se mette à la recherche des traces de ces hommes, jusqu'aux confins des limites naturelles dans lesquelles l'humain pouvait s'installer durablement. Car aussi puissant qu'ils pouvaient être, leur pouvoir, leurs abilités au combat, si honorables qu'elles puissent être, tout cela ne pouvait opposer qu'un vague souffle vital face au tourbillon incessant d'âmes saisies de leur corps, maëlstrom créé de toute pièce par Jashin, le Dieu de Mort et de Massacre, et dont Yanosa, seul sur les pants de la montagne accueillant la tempête, exerçait l'absolue emprise.


S'il avait été en toute occasion un combat auquel le Nukenin aurait aimé convier son unique confrère connu, ç'aurait été celui là. Toutefois, seule la volonté de Jashin pouvait les réunir, et rien ne servait de provoquer une rencontre, qui de toute façon aurait lieu en d'autres temps, et d'autres lieux, si elle ne venait pas à se produire ce jour-ci. Car rien ne semblait indiquer, tandis que le pieux guerrier en venait à voir le terme de son ascension, qu'une quelconque âme qui vive soit présente autours de lui. Ce fût d'ailleurs le fruit d'une lourde déception. Yanosa, tant désireux de ressentir l'ivresse du combat l'envahir une fois de plus, eu beau chercher cent fois les pourtours du mont sans trouver quoi que ce soit. Jusqu'à ce que, à ses yeux s'offrit la vision d'une noirceur inhabituelle sur ces paroies ravagées par les rafales d'eau glacée. Une antre, ou tout du moins, un abri, que Yanosa parti vite explorer, prêt à en découdre avec ses éventuels occupants. Malheureusement, une fois encore, son entrprise se révéla bien vaine. A l'intérieur, cependant, il découvrit les traces d'installations diverses, abandonnées depuis fort longtemps selon toute vraisemblance, matériels au sein desquels des armes, et divers équipements militaires figuraient. Mais rien de ce que Yanosa ne désirait. Une quête vaine, qui lui valut une déception des plus rageante.

Refaisant surface des entrailles de l'antre abandonnée, le Nukenin internationalement recherché regarda dans le lointain, tandis que tout vent cessait, laissant poindre les puissants rayons du soleil sur le visage d'un blanc tout aussi pur que la neige du jeune homme, dans l'expectative totale. Que réservait donc à son protégé le Dieu Tout-Puissant de la Destruction ?

Au loin, une petite voix fluette et aïgue, malgré la distance, faillit briser les tîmpans du jeune homme qui se tenait depuis quelques instants devant la grotte précédemment explorée. Pour une surprise, il s'agissait sûrement de la plus inattendue. La source de cette voix était une fillette, peut-être une adolescente, de ce que Yanosa pouvait en voir à cette distance. Son teint pâle la confondait avec la neige environnante, mais le jeune Jashiniste s'étonait de ne pas l'avoir remarqué plus tôt, au milieu de toutes ses recherches acharnées. Mais, après réflexion c'était peut-être cela, la raison pour laquelle il n'avait pas remarqué le bout d'humain, sur sa présente gauche, très légèrement en contrebas. Qui était-il ? En quoi cela pouvait-il bien la concerner ? La question serait plutôt naturelle d'être élucidée en premier pour son propre cas, petite fille qu'elle était au milieu de nul part, alors que la tempête venait de souffler à grands vents. Peut-être ne paraissait-elle pas être ce qu'elle était en réalité... Une possibilité que Yanosa aimer à envisager, tant elle changerait la donne pour le moins biaisée de sa quête de combat, qu'il pensait jusqu'alors sur le point de finir dans ces contrées.

Ferait-elle un sacrifice convenable ? Ou bien était-elle juste la fillette que toutes les apparences dénonçaient ? Peu confiant, mais prêt à tout pour élucider la chose au plus vite, le Nukenin aux imposantes drapures ne prit pas de gants pour estimer la valeur de l'âme de la jeune fille. Elançant son bras hors de son abris de tissu, sa main vient soudainement se poser sur le pommeau glacé qui gît dans son dos, prémisse d'un tranchoire qui trouvait peu d'équivalent de par le monde. S'accroupissant l'espace d'une demi seconde, le jeune et pieux s'élance d'un bond vers son hypothétique proie, déployant dans le même temps l'imposante lame de mort, qui rend un effet de dédoublement, tant sa largeur et sa longueur paraissent proches de celles de l'homme lui même.


De tout son poids, le Nukenin atterri tout près de la fillette, s'étant déplacé à une telle vitesse que cette dernière ne put à peine esquisser un mouvement. Pointu de l'épée pointé sur sa gorge maigrelette, on peut certainement discerner une déglutition difficile chez la jeune fille. Sans prendre pour argent comptant ce manque de réflexe, le Jashiniste ne se laisse pas décourager par la valeur pitoyable que semble avoir cette petite entité au combat, en réalisant toutefois qu'il y aurait très peu de chance que cette dernière s'avère être une combattante. Acceptant exceptionellement en son fort intérieur l'utilité du language parlé dans cette situation où nul ne semblait vouloir ou poivoir réagir, il prit la parole de son timbre de voix lourd et doux à la fois, repoussant, ou annulant tout simplement le moment où l'âme de la petite quitterait son corps.


" Dis-moi plutôt qui tu es toi. Que fais-tu ici, que cherches-tu ! "


Accompagnant son maigre énoncé d'un léger mouvement de son épée, la ravançant davantages, le Nukenin attendit patiamment, et plus important encore, calmement, la réponse qu'on lui devait.

La forme de réponse que reçu le jeune homme fût loin de paraître sous le jour qu'il attendait. Ni une déclaration de combat, ni un départ en sanglot qui aurait valu d'emblée à la jeune fille le statut de civil pour Yanosa, cette dernière eut une réaction typiquement féminine, décochant de toutes ses maigres forces un violent coup de pied dans l'entrejambe du Jashiniste, puis fuyant au loin, le plus qu'elle le put de l'imposant guerrier. Selon toute vraisemblance, s'il s'agissait d'une civile, elle avait au moins le mérite de savoir se défendre, pensa Yanosa, tandis qu'il jettait un coup d'oeil perplexe à l'endroit où avait porté le coup, là où reposait son unique protection, prolongement de ses jambières d'acier parsemées de tissu sombre. Sans doute s'était-elle cru bien maligne, mais son maigre effort n'avait porté aucun fruit. Quand bien même son coup aurait touché sa cible avérée, cependant, cela n'aurait en rien changé le déroulement de la suite des événements, aucune proie ne pouvant échapper au terrible massacreur qu'était le Nukenin par un mouvement aussi grossier. Mais, loin de vouloir s'enfuir après son geste, la petite campa sur ses appuis, allant jusqu'à réadresser la parole à celui qui devait paraître comme le plus rustre et dangereux des voyageurs. La jeune fille avait du caractère, et du cran. Indéniablement, Yanosa était forcé de le remarquer, mais alors que l'idée fixe du sacrifice envisagé plus tôt semblait pouvoir ici se justifier, ce fût plus de la curiosité qui s'empara de lui.


Après tout, même dotée de certaines capacités, si limitées pouvaient-elles être, une fillette telle que la dénommée Miharu ne pouvait représenter qu'un amuse-gueule pour le sanguinaire Jashiniste. Et y avait-il une seule chose qui garantissait au guerrier à la chevelure de feu que cet encas sacrifié à son Dieu ne resterait pas seul pitance pour aujourd'hui ? Car si Jashin aimait les massacres, il appréciait aussi particulièrement que ses apôtres lui présentent de copieux festins, aménagés selon des règles strictes. Plantant sa lame derrière lui, dans la neige fraîche et maléable, dans laquelle l'épée avait dû être enfoncé d'au moins un mètre pour pouvoir se maintenir, le jeune homme avança d'un pas mesuré et tout à fait naturel jusqu'à Miharu, comblant en de longues enjambées peu nombreuses ce que la fillette avait dû parcourire en sautant. Elle semblait... Survoltée. Pouvant l'observer de près, il n'arrivait toutefois toujours pas à estimer son âge précis, à la fois d'une apparence enfantine et d'un tempérament de jeune femme. D'humeur, le Jashiniste lui adressa alors la parole d'un tout autre ton que précédemment.


" Miharu-san... Hein ?

Moi c'est Yanosa... Tu connais bien les lieux ? Je suis à la recherche de personnes, de guerriers qui se seraient installés ici par le passé.

Tout ce que tu pourras me dire peut m'être utile. Alors ? "


Si elle, ne représentait guère plus qu'un coup de lame à donner au travers de la chaire, les individus qu'elle pouvait éventuellement aider Yanosa à retrouver pouvaient eux donner au Jashiniste d'immenses plaisirs, et un sacrifice royal à faire à son Dieu. Sa marge d'action était absolue. De plus, un sentiment étrange, peut-être factice et pur fruit de son imagination, poussait le jeune homme à croire que Miharu, comme elle prétendait s'appeler, pouvait lui être d'une plus grande utilité encore à l'avenir.

Le début d'une collaboration ?

S'attendant de prime abord à très peu de coopération de la part de la fillette, Yanosa fût surpris de constater qu'elle demeurait encline à lui répondre, même si, au fond, elle ne semblait détenir aucune information capitale, ni même d'indice juteux. Cela de surprit le Nukenin en rien, mais lui intima que, décidément, cette journée serait peu propice à la glorification de Jashin, ne pouvant pas se résoudre à lui présenter un tel gîbier, maigrelet et sans intérêt. Il lui en aurait fallu des dizaines, comme la petites Miharu, voir une demi centaine, pour former un torrent d'âme et de sang suffisant pour constituer un réel sacrifice. Hélas, en attendant le festin, la diète...

Mais, la jeune fille n'en n'avait apparemment pas terminé avec le pieux guerrier qu'elle venait de rencontrer. Se rapprochant soudainement, comme sans intention, et suivi de près par le regard perplexe de Yanosa, elle entreprit de gravir son dos imposant et pavé de muscles saîllants, venant s'accocher à son cou comme on le ferait d'une cape. La tête tournée en arrière, le Jashiniste se demanda ce qui pouvait bien trôter dans la tête de Miharu. Bien sûr, il avait été enfant. Mais il ne saisissait aucun souvenir de cette période, et n'en tenait aucun comme excuse d'un quelconque comportement. A vrai dire, être enfant ne signifiait pas grand chose pour lui. Juste une immaturité, une non-finition qui se devait de s'accomplir avec temps et efforts. Dans cette position étrange, la petite fille tint un propos des plus candide, juste au dessus de la tête de Yanosa. De jeune femme en puissance, avec tous les aspects hystériques que cela pouvait impliquer, elle venait de passer à la fillette qu'elle demeurait en apparence, cherchant la compagnie de plus grand qu'elle, s'imissant dans une histoire qui ne la concernait très certainement pas, cherchant à s'y investir... Pour l'attention que cela pourra lui apporter.


Yanosa, c'était rare, restait indécis, quant au sort qu'il réservait à la petite fille. Elle était perspicace, certainement, et malgré son manque d'informations, elle saurait peut-être mieux que lui les glâner ça et là. Passant donc son bras dans son dos occupé, il se saisit du col de Miharu, exécutant une rotation pour l'amener, face à lui, la tenant à bout de bras à presque un mètre de la surface glacée de la montagne. Dans cette posture, pas moins grotesque que la précédente, le jeune Jashiniste adresse de nouveau quelques mots à Miharu, désireux de mettre au clair l'avenir qui serait le siens.. ou le leur.


" Les Nukenin fuient tous quelque chose. En cela je n'en suis pas un, car c'est moi qui pourchasse les brebis de Dieu.

Si je te laisse me suivre, alors tu devras m'aider du mieux que tu peux à trouver de puissants guerriers. Je ne tolérerais aucun écart, et je me garderais de connaître ton avis, c'est compris ?

Maintenant, si tu acceptes ces termes... Conduit-moi. "


Ce qu'il n'avait pas dit, c'est qu'au moindre faux pas de la petite Miharu, il n'hésiterait pas à trancher dans le vif, id est, dans sa chaire frêle et menue. Mais peu importait pour lui, au fond, qui n'avait rien à perdre, et tout à gagner, à laisser la jeune fille le guider jusqu'à quelques lieux dignes d'intérêt. Ainsi agissait Yanosa, sans remords ni regrets. Et de cette manière, traçait-il sa route jusqu'au firmament, étoile après étoile.