Étreinte de Mort, Souffle candide, à la fin de l'homme.





Ne demeure aucun témoin, ne reste que des histoires. Elles deviennent légendes, portées par les vents menteurs, mais ceux qui ont survécus parviennent tous à un amas synthétique d'horreur incarnées dans une chaire humaine appelée démon, Akuma, pour la figuration personnifiée de l'horreur démoniaque...
Si l'érèbe - l'enfer d'ébène - portait un visage humain, mortel, alors le souffle de la mort insufflé par cet homme, dieu, créature, doit être purulent et toxique comme celui qui fut l'auteur de ce que je décris ici, non pas en survivant, mais en seul témoin capable d'expliquer l'ensemble des témoignages de survivants dont les esprits sont morts, rongés par la folie, rongés par la vision putride d'une créature immortelle...
Laissez moi donc vous conter les faits probables qui ont mené au déclin du pays de Mitsu no Kuni...

Il fait nuit, le silence règne. Les autres pays se taisent, sans argent, suffisant au massacre, suffisants devant la mort, elle se paye en Ryôs. Toute l'économie du pays de Mitsu reste en branle, perdue, en dépenses inutiles et futiles; soumise comme un forçat au requiem éreintant, ninjas épuisés, métal des lames hurlant au désespoir, un loup expirant. Vertiges de logorrhées inutiles pour exprimer la misère quand vint la fin : le crâne dégarni, garde insuffisant, la gorge écrasée, l'acier pénétrant, écartant l'épiderme, étouffant un râle caustique, la pisse mêlé au sphincter relâché, à la respiration figée, s'effondre dans sa propre misère. Piétiné, chemin d'entrailles entrouverts, porte entrebâillée vers l'horreur, Akuma. Un homme stupide le retient, de toute sa laideur effrayé, chaire turgescente, pulvérulente, écartée par une griffe d'effroi. L'immortel, armé de griffes nues, jambes ouvertes, foule, muscles retenus, les nouveaux-nés emmaillotés dans les châles écarlates, violets : les bébés roulent hors des bras des femmes accroupies sur les tôles parsemé de Kunai; le démon repousse avec son poing libre un cadavre gênant, suintant. Il saute sur le charnier de sa folie, les ninjas adverses se couchent sur la caillasse, la tête appuyée contre les tas de cadavres criblés de silex, d'épines, dénudent le haut de leur corps ombragé par le talus; les femmes bercent les bébés contre leurs seins : le mouvement de bercée remue renforcés par la sueur de l'incendie les parfums dont leurs haillons, leurs poils, leurs chairs sont imprégnés : huile, girofle, henné, beurre, indigo, soufre d'antimoine - au bas du talus, sous l'éperon chargé de cèdres calcinés, saké, riz, ruchers, tombes, buvette, académie, tour du kage, figuiers, onsens, cerisiers, murets tapissés d'écoulements de cervelle, vergers rubescents, dilatés par le feu, éclatent : fleurs, pollen, épis, brins, papiers, étoffes maculées de lait, de merde, de sang, écorces, plumes, soulevés, ondulent, rejetés de brasier à brasier par le vent qui arrache le feu, de terre ; les ninjas de Mitsu assoupis et surpris se redressent, hument les pans de la bâche, appuient leurs joues marquées de pleurs séchés contre les ridelles surchauffées, frottent leur sexe inquiets aux cadavres empoussiérés ; creusant leurs joues, salivent sur le bois peint ; ceux des réserves d'armes déjà vides, descendus dans un gué sec, coupent des lauriers-roses, le lait des tiges se mêle sur les lames de ses griffes anormales au sang des adolescents éventrés par sa folie palpable contre la paroi centrale de la carrière d'onyx ; le démon taille, arrache les plants, les déracine avec ses sandales cloutées, déhanchés : excréments de chiens, katanas, charognes d'aigles.

"Des Massacres au Pays de Mitsu", Ken Guyotat